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mains pleines de réformes et de promesses? — Tout souriait en effet à ce règne; seulement il y eut à cette époque, au sein de l’illusion universelle, un singulier malentendu qui ne s’est dissipé que dans les désastres. Ce que l’opinion voyait, c’était un pape libéral, réformateur, régénérateur de la nationalité italienne, et Pie IX lui-même ne croyait-il pas naïvement être ce pape? Au fond, c’était un prêtre religieux et sincère, qui voulait le bien, mais dans la limite de son caractère de prêtre, sans songer à aller au-delà de ce que la tradition du pontificat lui permettait, et c’est peut-être parce qu’il a été sans le savoir le promoteur de ce mouvement d’autrefois qu’il se croit aujourd’hui dans une obligation plus étroite d’opposer à tout les scrupules d’une âme sévère avec elle-même, — représentant aux deux bouts de sa vie les complications, les impossibilités d’une situation dont il est à la fois l’image vivante et la victime.

Le tout est de savoir aujourd’hui ce qu’il y a dans cette situation qui domine Pie IX plus que Pie IX ne la domine, et qui est réellement la crise de la papauté. Quand je vois toutes ces interprétations des événemens qui se succèdent, ces luttes, ces polémiques ardentes suscitées autour des périls du saint-siège, je me demande où est le moyen, le palliatif, l’expédient découvert par ceux qui accusent l’Italie, la France, l’Europe des malheurs de la politique romaine, ce qu’on aurait pu faire pour détourner ces malheurs, et ce qu’on pourrait faire pour les réparer. Rien n’est plus simple, diront ceux qui tranchent souverainement; il n’y a qu’un moyen : avant les démembremens, il fallait les empêcher; après qu’ils sont accomplis, il faut les réparer. C’est le devoir de l’Europe d’aller au secours du droit qu’elle laisse opprimer; c’est le devoir du monde catholique de défendre, de rétablir le saint-siège dans l’intégrité de sa puissance temporelle. Soit, rien n’est plus facile en effet! Les armées européennes reprendront le chemin de Bologne et iront camper à Ancône; elles l’ont fait il y a trente ans, elles l’ont fait en 1849, elles le feront encore. Et puis il ne suffira pas de restaurer l’autorité pontificale dans ces provinces; il faudra l’y soutenir, renouer cette série ininterrompue d’interventions et d’occupations permanentes, contenir des populations dont on a reconnu les griefs en leur imposant un gouvernement dont on est loin d’approuver la politique. Et puis enfin on sera arrivé à cette conséquence étrange et assez imprévue de créer au sein de l’Europe un pouvoir exceptionnel, pour qui la loi des choses humaines semble suspendue en quelque sorte, libre de décliner les conseils, de suivre le système qu’il voudra, irresponsable parce qu’il sera soutenu contre les dangers de sa politique! Me voit-on pas ce qu’il y a de périlleux à mettre un intérêt catholique dans l’existence d’un état de trois millions d’hommes mécontens, froissés dans leur vie civile et comprimés