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ouvrir les armoires, compulser les papiers ; toutes ces occupations navraient Marie. Dans la crainte de la voir tomber malade, Marthe la pria de la laisser vaquer seule à ces tristes arrangemens. Sa résolution, son activité frappèrent M. Pêchereau, qui était comme un pauvre corps sans âme depuis la mort de Mme d’Orbigny. — Où trouvez-vous la force d’aller et de venir ? disait-il.

— Bon ! voilà que vous oubliez ma devise : ce qu’il faut, il le faut ! répondait Marthe.

Étonnée à son tour de l’expression d’atonie qu’on voyait sur le visage de l’ancien avoué, Marthe prit sur elle de le secouer. — Çà, lui dit-elle un jour, pensez-vous que ma tante serait bien contente, si elle vous voyait les mains oisives et l’esprit dans les nuages ?… Vous l’aimiez, j’imagine ? Alors aidez-moi… — Elle lui glissa sous le bras une liasse de papiers, et le poussant par les épaules : — Cachez-vous dans ce cabinet, vilain paresseux, reprit-elle, et débrouillez-moi ces grimoires.

La force de l’habitude emportait quelquefois Marthe. Tout en apurant les comptes que présentaient les fournisseurs ou en vidant les tiroirs pour mettre le linge en ordre, elle fredonnait. Marie, que le chagrin avait pâlie et maigrie, laissait tomber ses mains sur ses genoux. — Bonté divine ! tu chantes ! disait-elle.

Marthe l’embrassait : — Chacun fait ce qu’il peut, répondait-elle.

Jamais on ne vit succession plus embrouillée que celle de Mme d’Orbigny ; il était aisé de reconnaître que le comte avait passé par là. Ce n’était qu’emprunts et dettes hypothécaires de toute sorte. Réveillé par l’odeur de la chicane et aussi par le désir d’être utile à deux orphelines, M. Pêchereau, qui retrouvait au milieu de ces paperasses le nom de Mme d’Orbigny et la trace aimable de son bon cœur, s’efforça d’y faire pénétrer la lumière. Au bout d’un certain temps. Mlle de Neulise lui demanda résolument de bien préciser ce qui leur restait. L’avoué hocha la tête. — Vous en parlez bien à votre aise, répondit-il ; le verbe préciser me paraît ici ambitieux ; c’est l’anarchie et la confusion qui règnent dans ces dossiers !

— Voyons, n’hésitez pas… N’y a-t-il plus rien ?

— Je ne dis pas cela, répliqua l’avoué ; vous avez au moins cette maison.

— C’est un toit. Et puis ?

— Et puis, je ne sais pas.

— Oh ! moi, dit Marie, j’entrerai dans un couvent.

— Le couvent ? Celui où tu prendras le voile n’a pas encore ouvert ses portes, s’écria Marthe.

La résignation de Marie n’était pas une preuve de courage ; comme les rameaux du saule qui fléchissent au moindre vent, elle trouvait plus facile de plier que de combattre. Joignant les mains presque