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droits de l’homme. Abandonnés par la loi, par les mœurs, par la tradition, à la volonté absolue d’un seul, s’abandonnant eux-mêmes à tous les ignobles vices de l’esclave, les nègres asservis ne peuvent mettre leur espoir qu’en la générosité ou le mépris de leurs maîtres. À force de se faire petits et bas, peut-être échapperont-ils aux caprices et aux fantaisies de cette volonté qui les tient enchaînés.

L’intérêt, disent les esclavagistes et serait-on tenté de le dire avec eux, l’intérêt le plus évident, commande aux planteurs de bien traiter leurs nègres, de leur donner une nourriture suffisante, des vêtements convenables, de les soigner dans leurs maladies. Les nègres sont un capital pour le propriétaire, et celui-ci doit les préserver de tout mal, afin d’en retirer un bénéfice considérable. En effet, nous croyons que d’ordinaire les planteurs ont assez l’intelligence de leurs intérêts pour ne pas écraser leurs nègres de travail et leur procurer, au point de vue matériel, une vie aussi comfortable que celle de nos manœuvres et journaliers d’Europe. Il est rare que les possesseurs d’esclaves les fassent travailler quatorze et quinze heures, ainsi que le permet la loi ; le plus souvent ils ajoutent un peu de poisson salé à la fade nourriture que les règlements stipulent pour les nègres ; ils varient selon les saisons l’hygiène des esclaves afin de les préserver de la géophagie, cette maladie fatale si commune chez les Africains asservis, et qui se révèle par un besoin irrésistible de manger de la terre, de l’argile, de la brique pilée. Quelques planteurs prêtent aussi de petits lopins de terre où les noirs peuvent, le dimanche, cultiver du maïs et des pommes de terre ; ils leur permettent d’élever des poules, des cochons et d’autres animaux domestiques ; ils achètent les produits des jardinets, prennent soin de la propreté des cases, paient à la tâche et non à la journée les nègres qui travaillent le dimanche sur la plantation. Si des soins de cette espèce sont les seuls qu’un maître doive à ses subordonnés, nul doute que bien des planteurs puissent revendiquer le titre de pères de leurs esclaves ; mais les créoles ne sont-ils pas des hommes comme les autres et n’ont-ils pas aussi leurs passions ? Ne peuvent-ils pas se laisser emporter par l’orgueil, un désir tyrannique, la colère, la férocité ?

Les esclaves n’ont pas seulement à redouter le maître, mais bien plus encore ses agents. L’économe, blanc humilié de sa position subordonnée, est d’autant plus sévère est despotique ; il se sent relevé à ses propres yeux par les souffrances qu’il fait endurer à sa chiourme d’esclaves. Le commandeur, nègre comme les autres, mais armé du fouet souverain, aime à le brandir sur le dos de ses rivaux ou de ses ennemis personnels, et souvent il descend jusqu’à des rapports mensongers pour satisfaire ses vengeances ; en outre,