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le guérisse sur-le-champ, parce qu’il n’a m le temps d’être malade, ni les moyens de soigner tine maladie. Et puis rien ne l’épouvante comme la diète ; lui qui ne vit que par le travail de ses bras, quand il sent ses forces diminuer, il se désole et se croit perdu. Est-il étonnant que l’empirique, le charlatan qui promet hardiment et à bas prix une guérison immédiate soit préféré dans les villages aux docteurs patentés, plus discrets et plus prudens ?

Pendant plusieurs jours, le garçon de charrue, en proie à une grosse fièvre, avala force potions. Couché en un coin de l’étable aux bœufs dans un lit grossier au-dessous du grenier à foin et tout près du réduit où l’on serrait les pommes de terre, il enviait le sort de ses compagnons, occupés tout le jour aux travaux des champs. Cette couche si dure, pareille à un grabat, sur laquelle il trouvait d’ordinaire un sommeil réparateur après les fatigues du labour, lui devenait insupportable. Il se levait par instans, allait s’asseoir sur le bord de la crèche, remplie de foin, devant la porte ouverte, et jetait des regards languissans sur les prairies verdoyantes.

— Eh bien ! Pierre, cela va-t-il mieux ? demandaient en passant les gens de la métairie.

— Nenni, les gars, répondait tristement le garçon de charrue ; je n’ai plus de forces…

Pierre Gringot retombait dans un silencieux abattement, et les garçons de la ferme retournaient à leur besogne. Après quelques jours d’attente, voyant que Pierre Gringot n’allait pas mieux, la maîtresse de la métairie lui dit enfin : — Les médecins n’entendent rien à ces maladies-là ; m’est avis qu’on t’a jeté un sort, mon pauvre Pierre… Il serait bien temps que tu guérisses pour aller aux champs… La besogne ne manque point dans ce temps-ci…

— Si vous me faisiez une bonne soupe, reprit Pierre, ça me donnerait du cœur !… Une bonne soupe au lard, avec une salade et un verre de vin !…

— Tu demandes bien des choses à la fois, répondit la métayère ; on voit que tu as faim après avoir jeûné si longtemps, mon pauvre gars.

Le pauvre gars fit honneur au repas qu’il avait commandé. Quoique la fièvre imprimât un certain tremblement à tous ses membres, il porta courageusement à ses lèvres la tasse à demi remplie de vin, et affirma, en la remettant sur la table, que toutes les portions du médecin ne valaient pas celle-là. Le lendemain, il resta debout toute la journée et fit un tour aux champs ; il croyait entrer en pleine convalescence, et se promettait bien de reprendre ses travaux le lundi suivant. Le repos du dimanche devait lui rendre définitivement les forces et la santé. Il est vrai que son imagination devançait