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conditions extérieures de la vie. Son élan, sa lucidité, sa réelle intelligence, ses vertus actives, aimables, solides, elle les faisait voir dans les choses du cœur et de l’esprit. Religieuse, elle serait morte pour sa foi avec la constance, la douceur, l’héroïsme d’un martyr ; reine, sa main se fût séchée avant de signer un traité où la faiblesse et la lâcheté eussent eu la moindre part ; épouse et mère, elle devait être la femme selon l’Évangile, alliant l’amour le plus constant au sentiment des devoirs les plus austères. Toutefois, livrée à elle-même au milieu de Paris, après la mort de Mme de Neulise et de Mme d’Orbigny, elle n’aurait jamais su y trouver un morceau de pain. Pénétrée de ces vérités, dont la conviction lui était venue à son insu et sans aucun effort d’observation, un matin Marthe surprit Marie les yeux tout en pleurs, un livre à ses pieds. Elle eut un moment d’effroi. — Ah ! dit Marie, manquer de tout, ce n’est rien… Mais n’être pas aimée !…

— Eh ! bonté du ciel ! à quoi penses-tu ? s’écria Marthe.

— Je ne sais pas ; mais tout à l’heure, pendant que tu passais dans le jardin, je te regardais… Tu es belle, avec quelque chose de joyeux où la franchise éclate ; tu as la voix séduisante, les yeux pleins de flammes : quelqu’un te verra et t’aimera. Un jour tu te marieras. Que deviendrai-je alors ? Cette pensée que tu quitteras La Grisolle, que tu m’oublieras, m’a donné le frisson.

— Mais toi-même… penses-tu ne jamais te marier ?

— Oh ! moi,… on ne m’a jamais vue ; je suis dans ton ombre !

Quelque chose de chaud et de pénétrant envahit le cœur de Marthe. Elle enveloppa Marie de ses bras. — Va, mon enfant, compte sur moi !

L’adoption venait d’être scellée d’un mot.

Pendant la belle saison, une compagnie brillante et nombreuse se répand dans les châteaux et les maisons de plaisance qui s’élèvent sur la lisière des forêts ou se mirent dans l’eau dormante des étangs, aux environs de Rambouillet. Marthe et Marie avaient eu occasion de connaître les hôtes de ces belles résidences, soit à Paris, soit à Rambouillet. On fut curieux de voir les recluses, ainsi qu’on les appelait, dans leur ermitage de Viez-Église. La Grisolle devint un lieu de pèlerinage pour les oisifs et les oisives du pays. On voulait pénétrer le mystère de cette existence, peut-être aussi surprendre un roman dans cette thébaïde où l’on entendait par intervalles le son du piano. Les curieux en furent pour leurs frais de visite. La présence assidue de M. Pêchereau ne permettait pas à l’imagination de prendre le vol, la simplicité d’ailleurs n’attire pas longtemps les gens inoccupés ; on oublia le chemin de La Grisolle comme on l’avait appris, sans que Marthe et Marie fissent rien pour multiplier ou amoindrir ces relations nées d’un caprice. Les plus aimables lais-