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être vu de plus près ? Des deux idées contraires que ces noms représentent, l’idée spiritualiste et l’idée panthéiste, quelle est celle qui prévaudra? Tels sont les problèmes qui nous ont paru mériter quelques réflexions.


I.

Il ne faut point exagérer l’importance des écrits inédits de Leibnitz récemment publiés. En général, défions-nous de l’inédit : il est éblouissant et fascinateur. Un critique érudit et curieux met la main sur une page inconnue d’un homme de génie : la joie de la découverte est si grande qu’elle enivre l’heureux chercheur. Cette page n’est pas seulement belle et intéressante : elle est pleine de révélations ; elle dévoile tout un monde inconnu ! On n’a pas seulement complété un grand homme, on l’a découvert ! L’ancien grand homme était faux, il n’y a que le nouveau qui soit vrai ! C’est ainsi qu’à l’heure qu’il est on voit circuler en Europe une foule de Leibnitz de récente formation, un Leibnitz catholique, un Leibnitz panthéiste, un Leibnitz platonicien ; que sais-je ? il y a même un Leibnitz théosophe : demandez plutôt à M. Henri Ritter et à M. Kuno Fischer.

Ce sont là des exagérations assez naturelles, d’innocentes hallucinations d’antiquaire trop ému. La vérité est qu’il n’y a pas deux Leibnitz, l’un ancien, l’autre nouveau ; l’un exotérique, l’autre mystérieux. Il n’y en a qu’un, qui est l’ancien Leibnitz, l’esprit le plus vaste, le plus complet, le plus universel qui ait existé depuis Aristote. Au surplus, cela n’empêche pas que les publications de ces derniers temps n’aient beaucoup d’intérêt. Outre qu’elles portent la lumière sur quelques points particuliers, elles ont un avantage plus considérable encore : c’est de faire mieux voir le développement progressif du génie de Leibnitz et l’étroit enchaînement de toutes les parties de son œuvre immense.


Parmi les points particuliers éclaircis par nos documens, je n’en toucherai qu’un seul, d’une extrême délicatesse ; je veux parler de la religion de Leibnitz. On sait que depuis deux siècles les protestans et les catholiques se disputent ce grand nom. La querelle recommença, il y a peu d’années, à l’occasion du Systema theologicum, écrit mystérieux dont M. L’abbé Lacroix venait de publier pour la première fois le texte exact et authentique. M. Albert de Broglie et après lui M. L’abbé Lescœur crurent y voir une profession de foi catholique, et ce paradoxe fut salué avec transport par les âmes pieuses. Les protestans s’émurent. M. Colani, M. Grotefend, M. Waddington, d’autres encore, prirent la plume, et de là une polémique