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non-seulement puissent vivre toujours, ce qui est immanquable, mais encore qu’ils conservent toujours leur qualité morale, afin que sa cité ne perde aucune personne, comme le monde ne perd aucune substance[1]. »

Que peut savoir la philosophie de l’état des âmes dans la vie future? Rien de précis; mais ce que la raison peut assurer, c’est que l’état futur de l’âme ne sera pas un état d’immobilité, de contemplation oisive et stérile. Comment l’âme perdrait-elle son essence, qui est l’activité, et sa loi, qui est le progrès? Et puis, comment pourrait-elle, étant finie et se déployant dans le temps, atteindre et posséder son idéal éternel et infini? « Ainsi notre bonheur ne consistera jamais et ne doit pas consister dans une pleine jouissance, où il n’y aurait plus rien à désirer, et qui rendrait notre esprit stupide, mais dans un progrès perpétuel à de nouveaux plaisirs et à de nouvelles perfections. »

Nous retrouvons au terme de la philosophie de Leibnitz ce que nous avons rencontré au début et dans toute la suite de sa vaste déduction : les idées de progrès, de gradation continue, d’harmonie, et toutes ces idées dérivant d’une idée première, l’idée de la force en action. Il est clair que Leibnitz est tout entier dans cette idée, et que non-seulement sa métaphysique, mais tous ses travaux en physique, en mathématiques, en physiologie, en géologie, en un mot toutes ses découvertes dans les genres les plus divers en découlent comme de leur source.

Il y a aujourd’hui des critiques qui traitent la métaphysique avec un superbe dédain. S’ils consentent à admirer Aristote, c’est comme naturaliste. Descartes, c’est comme géomètre, Leibnitz, c’est comme mathématicien. Aristote est fort heureux d’avoir écrit autre chose que sa Métaphysique ; ce qui l’a sauvé, c’est son Histoire des animaux. Est-ce avec son cogito ergo sum que Descartes aurait découvert sa nouvelle géométrie? Ce sont les progrès antérieurs de la science et son propre génie de géomètre qui lui ont suggéré sa découverte, et ce pas immense fait en avant a été le point d’appui de Leibnitz, qui ne serait pas Leibnitz, mais un rêveur inutile, s’il n’avait inventé que les monades et 1er harmonie préétablie.

Voilà les beaux raisonnemens de nos esprits positifs ; mais en vérité ils choisissent assez mal leurs preuves, car toute l’Histoire des animaux d’Aristote est fondée sur une idée métaphysique particulièrement méprisée de certains savans, l’idée de cause finale. Selon Aristote, toute la nature est animée d’une aspiration secrète vers un bien qu’elle ignore, mais qui l’attire invinciblement. Chaque règne,

  1. Cette page est tirée de la récente publication déjà citée de M. Grotefend.