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est dans la pensée comme dans les êtres. Mais quoi! c’est peut-être là un trait de lumière. Qui sait si la contradiction n’est pas dans la nature même des choses? Or, supposé qu’il en fût ainsi, on comprendrait fort bien que la contradiction se rencontrât nécessairement dans la pensée humaine, et alors, au lieu de s’effrayer de telle ou telle contradiction particulière, il faudrait chercher partout les contradictions, les recueillir, les rapprocher, les coordonner pour les ramener à une loi générale, et de la sorte pourquoi n’arriverait-on pas à trouver la loi suprême des choses et la méthode qui doit présider à l’organisation de la science absolue et définitive?

Les philosophes, depuis Platon, se sont consumés en vains efforts pour passer du réel à l’idéal, du fini à l’infini. Ce passage ne pouvait être trouvé sous le règne de l’ancienne logique, car entre l’idéal et le réel il y a contradiction. De même tous les grands physiciens ont cherché le passage de la pensée à l’être, du sujet à l’objet, et ils n’ont pu le trouver. C’est encore parce qu’ils se sont laissé effrayer par la contradiction des deux termes. Au lieu de s’arrêter court ou de chercher quelque chemin détourné pour éviter l’obstacle, il fallait résolument passer par-dessus. Oui, la matière et l’esprit, le sujet et l’objet, le fini et l’infini, sont contradictoires, cela est vrai; mais en même temps ils sont identiques. Tout être est à la fois matériel et spirituel, fini et infini, immuable et en mouvement, mortel et divin. La vie n’est que la lutte et l’harmonie des contradictions. La matière se transforme progressivement en esprit; l’infini par sa nature sort de lui-même : il se brise, il se contredit, il devient fini. L’éternité devient temps, l’immensité devient étendue, l’être abstrait se fait concret, le positif absolu se nie en se déterminant, et cette contradiction primitive, loin d’empêcher la création, en est le moteur véritable. C’est pour sortir de la contradiction qui est dans son fond que l’être entre en mouvement pour concilier les élémens rebelles de son essence. Contradiction et identité, thèse, antithèse et synthèse, voilà la loi de la création, voilà le rhythme éternel et universel de l’idée.

Telle est la grande découverte de Hegel, celle qui ravit ses disciples d’étonnement et d’enthousiasme. Lui-même, ce hardi et puissant esprit, s’en est tellement enchanté qu’il a entrepris l’immense labeur d’appliquer son idée au système entier des existences. Et il ne s’est pas découragé un instant, durant vingt années, jusqu’au jour où il est mort à la tâche. Il part d’une première contradiction, celle du néant et de l’être, réconcilie ces deux idées dans celle du devenir, et puis, allant de l’abstrait au concret, passant de la logique pure à la physique, à l’astronomie, à la physiologie, puis du