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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/167

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« la nature n’offre que des individus qui se succèdent les uns aux autres par voie de génération, et qui proviennent les uns des autres. Les espèces parmi eux ne sont que relatives, et ne le sont que temporairement. » Il admettait, et la plupart de ses disciples ont admis après lui, la transformation des espèces, la formation d’espèces nouvelles. En outre il reconnaissait pour causes de ces phénomènes la tendance à satisfaire certains besoins, les actions, les habitudes, c’est-à-dire des actes pour ainsi dire spontanés. La variation avait donc ici sa cause dans l’individu lui-même, au moins lorsqu’il s’agissait des animaux.

On a souvent cherché à rattacher aux doctrines de Lamarck celles de Geoffroy Saint-Hilaire. À nos yeux ce rapprochement est complètement erroné. Malgré toute l’impétueuse ardeur de son génie, Geoffroy, on l’oublie trop souvent, en appelle toujours à l’expérience et à l’observation. Lamarck avait voulu remonter jusqu’à l’origine des choses : Geoffroy a évidemment senti que le problème de l’espèce, ainsi posé, échappe à ces deux instrumens de toute recherche scientifique sérieuse. Aussi ne l’a-t-il même pas abordé. Sans doute il s’est déclaré partisan de la variabilité, mais c’est à la manière de Buffon, soit qu’il s’agisse du phénomène lui-même, soit que l’on remonte aux causes qui le déterminent. À diverses reprises, il repousse l’idée de variations incessantes et indéfinies. Pour lui, l’espèce est fixe tant que le milieu ambiant reste le même ; elle change seulement quand ce milieu se modifie et dans la mesure de ces modifications. L’action modificatrice vient donc du dehors et s’exerce sur l’être vivant, qui ne fait que réagir. Telle est aussi la croyance de Buffon. On voit que M. Isidore Geoffroy a dit avec raison : « Si Geoffroy Saint-Hilaire est, dans l’ordre chronologique, le successeur de Lamarck, on doit voir bien plutôt en lui, dans l’ordre philosophique, le successeur de Buffon, dont le rapproche en effet tout ce qui l’éloigne de Lamarck. »

Si Geoffroy Saint-Hilaire s’était borné à juger les doctrines de ses prédécesseurs et à développer les meilleures, l’Académie des Sciences n’eût point assisté à ces discussions à la fois solennelles et ardentes dont le souvenir est encore vivant chez tous les naturalistes ; mais il avait en outre abordé, avec sa hardiesse habituelle, un problème tout nouveau, que commençaient à poser sérieusement, que posent chaque jour plus impérieusement les découvertes paléontologiques. À la suite d’études approfondies sur les crocodiliens, il avait été vivement frappé des ressemblances existant entre certaines espèces fossiles et d’autres espèces actuellement vivantes. Il s’était demandé si celles-ci ne pourraient pas descendre des premières par une filiation interrompue et si les différences constatées entre ces représentans