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général anglais crut devoir lui rendre le singulier service dont il l’avait requis. Rostopchin descendit ensuite pour mettre le feu aux écuries, et s’arrêta immobile à contempler ces magnifiques constructions, devenues la proie des flammes. Lorsqu’enfin le beau groupe qui surmontait la principale entrée (modelé d’après celui de Monte-Cavallo) se fut complètement écroulé : Me voilà content ! s’écria Rostopchin avec un soupir d’amère satisfaction. »


Quelques jours après (le 24), sur la route de Moscou à Vladimir (suivie, non par l’armée russe, mais par un grand convoi dirigé vers Nijni-Novogorod), sir Robert serrait la main de Bagrathion mourant, qui le remerciait de lui avoir apporté, comme suprême consolation, l’assurance que la guerre nationale serait jusqu’au bout soutenue. L’agent anglais était alors revêtu d’un caractère tout à fait officiel. Les croix de Saint-André et de Saint-George, dues à la munificence impériale, brillaient sur sa poitrine. Un jeune lord, remplissait auprès de lui les fonctions d’aide-de-camp, et ce jeune homme, le comte de Tyrconnel, était attaché avec le même titre au duc d’York[1].

L’armée russe s’éloignait de Moscou, nous l’avons dit, dans la direction du sud-est ; elle était humiliée, découragée. Un seul dédommagement à ses revers, — et quelle âpre consolation ! — c’était de voir à l’horizon les fauves reflets de l’incendie qui déjà dévorait la capitale désertée. L’esprit de Rostopchin animait cette foule mêlée de soldats et de citadins fugitifs. Le 14 au soir, elle était à Pauki à quatre ou cinq heures de Moscou. Le quartier-général y. passa la journée du 15. Le 16, elle traversa la Moskova, et s’établit sur la rive droite, près de Borovskoï. L’arrière-garde s’était arrêtée à Viesovka. Vintzingerode, avec une petite colonne volante (cavalerie et Cosaques), était en observation sur la route de Saint-Pétersbourg (au nord-ouest de Moscou). Sébastiani, à l’avant-garde de Murat, suivait lentement les Russes, et, se disant chargé d’occuper Viesovka, faisait prier Raëfskoï de lui céder ce poste sans inutiles combats. Chevaux et cavaliers étaient à bout de forces… C’est alors qu’une inspiration subite rappelle à Kutusov le conseil donné par Beningsen. Il voit les inconvénient et la honte d’une retraite sur Riazan, retraite qui l’éloigne purement et simplement du théâtre de la guerre. Il voit aussi les avantages d’une position où, au lieu de fuir, il a l’air de manœuvrer et de menacer encore. Enfin il est forcé d’écouter les cris de vengeance poussés par les Russes, qui attribuaient encore aux Français l’incendie de Moscou. C’est alors (le 17) qu’il change brusquement la direction de ses colonnes. Elles quittent Borovskoï, et du sud-est marchant au sud-ouest, de la route de Kolomna

  1. Le comte de Tyrconnel périt quelques semaines plus tard à Wilna, victime « de son zèle à poursuivre l’ennemi. » Narrative of Events, p. 355.