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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/441

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des événemens, elle l’aide aussi à mieux saisir les aspects infinis de la personnalité humaine. Elle lui aiguise l’esprit et ne contribue pas moins à l’élargir ; elle le modère surtout et rétablit l’équilibre jusque dans la vivacité de ses meilleurs instincts. Que de tristes découvertes et de pénibles déceptions attendent celui qui traverse, ne fût-ce que rapidement, les régions du pouvoir ! Il n’est pas nécessaire d’y séjourner longtemps pour découvrir la folie de nos semblables, leur égoïsme et leurs faiblesses. Le cœur de l’honnête homme en est d’abord soulevé de dégoût ; mais s’il a le sens droit autant que la conscience délicate, à se rendre compte de la violence des entraînemens publics, à considérer l’action séductrice des circonstances individuelles, il sera vite saisi de plus de pitié encore que de courroux. Les causes d’excuse lui apparaîtront bientôt plus nombreuses que les motifs d’indignation, et ses jugemens deviendront peu à peu moins sévères. Arrive pour lui l’occasion de parler des temps écoulés, il sera disposé à reconnaître qu’à l’égard des morts aussi bien que des vivans, l’excessive rigueur peut être parfois voisine de l’extrême injustice, et qu’à bien prendre les choses, dans le passé comme dans le présent, il convient surtout d’être facile et tolérant. Après nous avoir jadis fait connaître, dans un récit sobre et nerveux, les troubles du long parlement d’Angleterre, un historien devenu homme d’état se décide, poursuivant son œuvre, à nous peindre la dictature agitée de Cromwell, le règne éphémère de Richard et le rôle singulier de Monk dans la restauration des Stuarts : ne soyez pas surpris de le voir allier, dans ses jugemens, à la plus inexorable perspicacité une calme et volontaire indulgence. Au fond, il n’aura rien ou presque rien changé à sa manière primitive : les traits les plus frappans de ses personnages seront restés les mêmes ; les contours en seront seulement plus amples, tracés d’une main plus libre, plus assouplie et plus sûre d’elle-même. Quelques retouches à peine auront suffi, retouches imperceptibles que les grands maîtres seuls savent faire à leurs premiers dessins.

C’est surtout pour écrire l’histoire de son pays qu’il importe d’avoir touché aux affaires publiques. Plus les temps à raconter seront rapprochés, plus un pareil apprentissage deviendra utile, peut-être faudrait-il dire indispensable : non pas qu’il soit impossible (de glorieuses exceptions en font foi) de réunir de premier jet, comme par une sorte de prédestination, les qualités propres aux récits contemporains. Naguère, au plus fort de la lutte engagée contre les tendances rétrogrades de quelques conseillers imprudens de la restauration, alors qu’aux mains d’adversaires également échauffés, livres, pamphlets, discours, tout était instrumens d’attaque et machines de guerre, la France libérale se souvient d’avoir