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l’on a admis les vrais principes économiques dans le gouvernement de nos intérêts commerciaux, ne serait-il point temps enfin d’apporter dans le règlement de nos dépenses la réserve conseillée par les principes élémentaires de l’économie politique ? Les dépenses d’un état sont en grande partie une destruction pure et simple de capital, l’anéantissement en pure perte d’une portion considérable du capital annuellement créé par le travail du pays. C’est une pensée que le gouvernement et les assemblées devraient avoir toujours présente à l’esprit. Il est d’autres dépenses qui, quoique reproductives, engendrent au moins pendant un certain temps, et quand elles ne sont pas attentivement mesurées, des effets analogues à ceux qui accompagnent les destructions gratuites de capital. Telles sont par exemple celles qui sont prodiguées avec exagération pour les travaux publics. Si l’on rapproche ces dépenses de celles qui sont des destructions de capital, on ne peut s’empêcher de reprocher une grande imprévoyance à l’administration financière de la France depuis quelques années. L’excès des armemens militaires, l’exagération des expéditions lointaines, l’élan trop rapide donné aux travaux publics, sont pour beaucoup dans ces perturbations monétaires qui éclatent, ce semble, aujourd’hui à des intervalles si rapprochés. On assigne pour cause à ces crises l’accident qui semble les déterminer ; mais elles ont des causes plus profondes, et parmi celles-ci une des plus évidentes est la prodigalité dans les dépenses publiques. Avant que la composition bizarre de l’encaisse de la Banque de France n’eût suscité, il y a trois mois, un péril monétaire que l’on pouvait croire factice, avant que la crise politique des États-Unis n’eût fait rebrousser le courant de l’or d’Europe en Amérique, les hommes intelligens qui président à la direction de la banque d’Angleterre sentaient déjà la nécessité de défendre par la hausse de l’intérêt le capital commercial contre le gaspillage financier des gouvernemens. L’habitude des grandes dépenses, excitée encore par l’élasticité des revenus et la facilité avec laquelle le public répond aux appels des emprunts, dégénère vite en une dangereuse tendance, contre laquelle il faut enfin que nos assemblées réagissent. Le moment de compter sérieusement est venu : nous sommes avertis par la triste situation financière de plusieurs grands états de l’Europe qui se sont vus obligés de nous suivre dans la voie des armemens immodérés ; nous sommes avertis par l’influence indirecte que la ruine de ces états exerce sur nos propres affaires ? nous sommes avertis par le renchérissement universel de l’intérêt de l’argent. D’économies importantes, on ne peut en opérer que sur les armemens : s’il était possible d’en obtenir de cette nature, en répondant à l’intérêt financier du moment, on donnerait en même temps une garantie de sécurité à l’opinion. Notre exemple serait suivi par les autres états, et l’on aurait peut-être employé le moyen le plus efficace de pacifier l’Europe. Malheureusement il y a peu d’espoir d’obtenir bientôt un tel résultat. En tout cas, il est certain que les circonstances ne permettent au moins ni création d’impôts aventureux, comme le voulaient de faux bruits, ni des dépenses ridicules comme celles