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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/521

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ce silence entretenait l’avilissement dans les masses, la désaffection dans les classes intelligentes et actives, l’humeur dégoûtée et frondeuse dans la noblesse déshéritée de toute vie politique, la servilité chez les uns, la haine chez les autres, la confusion et l’anarchie partout, une anarchie latente et passive. Le mot de cet ordre de choses était la défiance, — défiance du pouvoir à l’égard du pays, défiance profonde et invétérée du pays à l’égard du pouvoir, au point qu’on finissait par ne plus croire même aux concessions, et ce mot explique bien des événemens, bien des défections et des abandons. Il explique surtout cet état singulier où, sans être en position de prendre une initiative sous le dur et ombrageux régime qui le contenait, sans avoir peut-être une idée distincte de ce qu’il désirait, le royaume de Naples était cependant inévitablement livré à la contagion des mouvemens italiens par l’accumulation des griefs, par le besoin du changement, par cette défiance qui, à travers la police, avait fini par se concentrer sur la dynastie elle-même.

Cette situation intérieure que le dernier roi de Naples s’était faite se liait sous plus d’un rapport à sa politique extérieure. Ferdinand II ne poursuivait pas seulement le libéralisme, il traitait en ennemi tout élan de patriotisme italien, et il ne se contentait pas de séquestrer Naples de l’Italie, il se mettait en guerre avec l’Europe. Il en était venu à cette extrémité singulière, qu’il était réduit à redoubler de, compression intérieure pour faire illusion à l’Europe par une paix factice, et qu’il était obligé de tenir tête à l’Europe pour garder aux yeux de son peuple l’apparence et le prestige d’une position intacte. Ce fut là, plus qu’on ne l’a cru, l’explication de sa résistance à l’Europe et de son attitude en face de la rupture avec la France et l’Angleterre, lorsque les deux puissances essayèrent inutilement de faire sentir à Naples le poids d’une influence modératrice ; et une fois engagé dans cette voie, Ferdinand II ne savait plus comment en sortir : de telle façon qu’après trente ans de règne, aux approches de sa mort, ce prince superbe se voyait assailli de tous les périls à la fois, et il ne se détournait des fermentations intérieures de son royaume que pour se retrouver en présence d’une Europe qui se détachait de lui, dont les démonstrations diplomatiques étaient un encouragement pour ses ennemis.

Nul ne sentait mieux que le roi de Naples la gravité de cette situation. ; il la jugeait avec cette netteté, cette vigueur d’esprit et cette clairvoyance qui se mêlaient parfois chez lui à tous les entraînemens de l’absolutisme. S’il résistait à la France et à l’Angleterre, ce n’était pas seulement par fierté royale, bien qu’il pût y avoir de cette fierté dans son attitude : c’était surtout par calcul, parce qu’il sentait que, s’il cédait au dehors, tout s’effondrait sous lui à l’intérieur, de même