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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/526

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armes de toute la nation et l’alliance des deux plus grands royaumes de la péninsule ; mais comme ces considérations pourraient n’être pas suffisantes, vous laisserez comprendre que le gouvernement du roi est disposé à donner de son côté toutes les garanties qui peuvent être raisonnablement désirées. Aussi, dans le cas où on proposerait une alliance offensive et défensive avec garantie réciproque de l’intégrité des états des parties contractantes, vous ne vous montrerez pas éloigné d’y consentir, vous réservant seulement d’en référer à votre gouvernement pour les instructions pratiques qui seraient nécessaires[1]… »

Le Piémont, en d’autres termes, offrait au roi de Naples, le 29 mai 1859, jour où le comte de Salmour recevait ces instructions en ce moment unique où toutes les situations étaient encore intactes, ce que François II lui-même proposait au Piémont un an plus tard, lorsqu’il n’était déjà plus temps. J’ajouterai que, par la modération de ses conseils sur la politique intérieure, le cabinet de Turin traitait Naples comme un royaume qu’il voulait aider sérieusement à vivre, non comme un état dont il voulait précipiter la ruine. Il ne conseillait pas une résurrection hâtive du régime constitutionnel, un appel immédiat à des hommes d’un libéralisme trop vif. « Pour aujourd’hui, disait-il, les conseillers de la couronne pourraient être choisis parmi les hommes dévoués à la monarchie et qui l’ont déjà servie, mais sans être trop compromis dans les excès de la réaction. » Le Piémont disait ce que l’Europe entière pensait, ce que l’Angleterre et la France conseillaient elles-mêmes. S’il y avait donc des difficultés à Naples, il n’y avait rien d’insurmontable avec un point d’appui possible dans l’opinion habilement ralliée, avec tous les moyens de popularité et de raffermissement, le concours de toutes les sympathies extérieures. Seulement, à cette aube d’un règne naissant au milieu des frémissemens de l’Italie enflammée par la guerre, il fallait se hâter, devancer l’imprévu par une résolution prévoyante et hardie.

Ce fut l’irrésolution qui l’emporta, et dès lors la destinée de ce règne de dix-huit mois se nouait dans les secrètes incertitudes d’un prince timide, inexpérimenté., mal conseillé et plus mal servi. Un sentiment semblait dominer François II, c’était la réserve, et sous cette réserve il avait une certaine défiance des choses, une crainte presque superstitieuse de toucher à tout ce qu’avait fait son père. Jeté dans des circonstances prodigieusement graves où l’instinct de ses intérêts et la lumière des événemens le pressaient de céder à l’esprit de son temps, il était, d’un autre côté, enlacé et retenu par

  1. Dépêche particulière de M. de Cavour au comte de Salmour en date du 29 mai 1859.