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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/545

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toujours prêt à se jeter en avant. Aux yeux des politiques qui puisaient leurs inspirations à Turin, et dont M. de Cavour est depuis longtemps le guide heureux et habile, la première nécessité était d’assurer les victoires italiennes à mesure qu’elles se succédaient. Puisque la Sicile était conquise, il fallait se hâter de prononcer l’annexion, de la régulariser, puis ne rien précipiter, suivre les circonstances, ménager les susceptibilités européennes, et se garder d’aller au-devant de quelque gros orage diplomatique. Un des plus actifs émigrés siciliens de 1848, rallié à la politique de M. de Cavour, mêlé, comme l’un des chefs de la Société nationale, à tous les mouvemens récens de l’Italie, M. La Farina, se chargea ou fut chargé d’aller à Palerme essayer de faire prévaloir l’idée de l’annexion immédiate, et il ne laissait pas de trouver de l’écho dans la population. Aux yeux du parti, de l’action au contraire, annexer immédiatement la Sicile, c’était abdiquer, se subordonner à Turin, et, après ce premier pas décisif qu’on venait de faire, rester les mains liées en face de Naples et des autres états de l’Italie où il y avait encore à porter l’idée de l’unité nationale. De là des conflits de vues et d’influences au sein desquels Garibaldi s’agitait singulièrement, tantôt ramené par la raison, par un sentiment supérieur de patriotisme, à la nécessité de combiner sa marche avec Turin, tantôt entraîné par son tempérament vers tous les auxiliaires exaltés qui l’entouraient, qui se servaient de lui encore plus qu’ils ne le servaient, et qui ne cessaient d’exciter ses ressentimens contre M. de Cavour. Héros par le cœur et enfant terrible par l’esprit politique, Garibaldi vivait dans des tiraillemens perpétuels, multipliant les pro-dictateurs, changeant ses ministres, proclamant le statut sarde et faisant embarquer violemment M. La Farina, qui était trop prompt pour l’annexion, — adressant des appels enthousiastes à ses soldats et aux dames palermitaines, gouvernant à la diable et se relevant par la fascination d’une nature ardente et sincère, échappant tour à tour par sa droiture à ceux qui cherchaient à surprendre ses instincts, par une saillie impétueuse à ceux qui auraient voulu le retenir, — fort ballotté comme on voit, mais invariable dans la pensée d’aller en avant sans se laisser lier par aucune considération de politique régulière et de diplomatie. Le dictateur le disait lui-même, au corps municipal de Palerme, qui allait lui demander l’annexion immédiate. « Je pourrais, appuyé sur la manifestation des communes, par un acte dictatorial, proclamer l’union, répondait-il ; mais entendons-nous bien : je suis venu combattre pour l’Italie, et non pour la Sicile seule, et si l’Italie n’est pas tout entière réunie et libre, jamais la cause d’aucune de ses parties ne sera assurée. Relier toutes ces parties séparées, les mettre en état de composer