Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/761

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
757
REVUE. — CHRONIQUE.

bouche d’une cantatrice comme Mme Carvalho, pour qui il a été évidemment composé. Il est temps aussi que les compositeurs nous épargnent ces lieux-communs puérils dont ils ont trop abusé. Quant au finale très bruyant qui termine le second acte, c’est un simple morceau d’ensemble d’une sonorité confuse et exagérée, que la fausse situation des personnages n’explique pas d’une manière satisfaisante. M. Maillart est tombé ici dans un défaut que nous lui avons souvent reproché : il a écrit une page de mélodrame. On peut signaler au troisième acte, qui est le plus faible de tous, un chœur de jolis détails d’instrumentation, et la scène d’agonie, beaucoup trop longue et pas assez saillante pour qu’on ne s’impatiente pas de ce lieu-commun dramatique, devenu impossible depuis le chef-d’œuvre de Donizetti, Lucie. Écrite avec un grand soin et beaucoup de sentiment, la partition des Pêcheurs de Catane, qui renferme plusieurs morceaux distingués, n’affaiblira pas cependant la réputation de M. Aimé Maillart ; nous voudrions pouvoir lui prédire que l’épreuve de la scène sera également favorable à son œuvre. Une élève du Conservatoire sortie cette année de la classe de M. Laget, Mlle Baretti, a débuté par le rôle de Nella, qui ne lui était certes pas destiné dans l’origine. Sa voix de soprano aigu flexible et sa jolie figure l’ont fait bien accueillir, et tout annonce que dans le genre de l’opéra-comique Mlle Baretti pourra obtenir d’honorables succès. Un autre élève du Conservatoire, M. Peschard, qui possède une fort bonne voix de ténor, a fait aussi ses premières armes par le rôle de Fernand, cet insupportable amoureux de deux femmes qui ne sait à laquelle se vouer. La voix de M. Pescharda de l’étendue, assez d’égalité et ne manque pas de charme ; lorsqu’il se sera un peu dégourdi comme chanteur et comme comédien, il ne peut manquer d’être fort recherché.

Il nous faut encore parler de M. Jacques Offenbach. Le destin est plus fort que la volonté des hommes, et, la fable a raison, il est toujours téméraire de dire : « Fontaine, je ne boirai plus de ton eau. » Depuis l’avènement du Papillon à l’Opéra, l’auteur d’Orphée aux Enfers a donné un opéra-comique en trois actes qui répond au nom de Barkouf, et dont la première représentation a eu lieu le 24 décembre. Cette soirée a été curieuse, intéressante, et restera célèbre dans les fastes d’un théâtre où se sont produits depuis un siècle les plus délicieux chefs-d’œuvre de la musique française. De mémoire d’homme et de chien savant, on n’avait jamais rien entendu de semblable, et si je me sers de cette dernière expression, qui peut sembler étrange, c’est que j’y suis autorisé par le héros de la pièce, qui est un chien dogue nommé Barkouf. Tout le monde a trouvé que la musique était admirablement adaptée au sujet, et que M. Offenbach avait pris la nature sur le fait en imitant, de manière à s’y méprendre, les différentes intonations du principal personnage de la pièce de M. Scribe. On ne connaissait pas à M. Offenbach cette veine de pittoresque qu’il vient de révéler si heureusement dans Barkouf. Nous voudrions pourtant garder un peu notre sérieux à propos d’une bouffonnerie qui a étonné jusqu’aux protecteurs de M. Offenbach. On les voyait, tristes et mornes, se renfoncer dans leurs loges, comme s’ils eussent voulu cacher l’impression pénible qu’ils éprouvaient en se disant peut-être : « Voilà donc le ramage de ce beau merle que nous avons élevé à la becquée avec tant de soin ! » C’est qu’il est impossible de