Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/840

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de lui : une simple loi de progression suffirait pour justifier ce point de vue ; mais il n’en est pas de même lorsque nous passons de la Logique à la Philosophie de la nature, c’est-à-dire des formes abstraites à la manifestation matérielle des choses. En vain nous dit-on que l’ensemble des catégories logiques, par cela seul qu’elles sont épuisées, par cela seul qu’elles sont revenues à leur point de départ, qui est l’être, par cela seul en un mot qu’elles sont, sont aussi la nature ; en vain nous parle-t-on d’un acte de liberté absolue, en vain, recourant à l’image, nous déclare-t-on que l’idée a pris une résolution, qu’elle a éprouvé le désir de sortir d’elle-même et de regarder au dehors : — je ne puis voir dans ces explications autre chose que des mots, je ne puis surtout y voir ce que l’auteur m’avait cependant fait attendre, une contradiction intérieure en vertu de laquelle l’idée se dissoudrait pour reparaître sous la forme d’une synthèse des termes opposés. Ce n’est pas tout : cette solution de continuité entre la Logique et la Philosophie de la nature provient d’un vice organique du système. Les trois parties dont il se compose sont moins trois parties que trois systèmes divers, et qui empiètent les uns sur les autres. Cela est si vrai que chacune pourrait à son tour fournir un cadre complet à la métaphysique de l’auteur ; mais cela est vrai surtout de la Logique. On se demande malgré soi ce que les formes abstraites qu’elle fait passer devant nous ont à faire dans une philosophie qui repose sur l’identité de la forme et du fond, qui ne distingue pas et ne saurait distinguer entre l’absolu et sa réalisation. Aussi la Logique présente-t-elle, à vrai dire, le système entier de la réalité sous la forme des catégories, elle est la réalité ramenée à ses lois générales, elle est le monde considéré à un point de vue donné ; mais, encore une fois, elle n’est pas une partie du système, elle en est la totalité. On s’en aperçoit bien en y voyant figurer non-seulement l’être, mais la chose, non-seulement la quantité, mais la mesure, non-seulement le syllogisme, mais ce que l’auteur appelle le mécanisme et le chimisme, non-seulement enfin l’être et l’essence, mais l’idée et l’idée absolue. Hegel a eu beau faire : il n’a pu construire sa logique sans anticiper tantôt sur la philosophie de la nature, tantôt sur celle de l’esprit.

Au reste, ces critiques portent sur le livre de Hegel plutôt que sur son système, et ce qui nous importe, c’est son système plutôt que son livre. Il y a deux choses dans une philosophie née viable : il y a la lettre et l’esprit, le squelette et l’âme, la forme scientifique, qui est passagère, et les vives intuitions qui forment la raison d’être du système, et qui en sont la partie immortelle. Nul ne comprendra jamais une métaphysique s’il ne sait lire entre les lignes.

Rien n’est plus facile que de réfuter l’hégélianisme, lorsqu’on s’arrête à la lettre. C’est une porte ouverte, qu’il est parfaitement