Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/842

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le non-être, mais notion qui doit en même temps avoir une certaine réalité, puisqu’elle constitue déjà une forme de l’idée, c’est-à-dire de la réalité souveraine. Malheureusement cette réalité de la notion abstraite est précisément ce qui fait question. Jusqu’ici nous avions cru que l’abstraction n’était qu’une abstraction, qu’une idée n’était qu’une idée : je consens bien à admettre le contraire, mais je voudrais ne le faire qu’à bon escient. Nous avions cru en outre qu’une idée supposait un esprit : or il n’y a pas ici d’autre esprit, il n’y a pas d’autre sujet pensant que l’idée elle-même. Voilà donc un terme doublement privé de son sens convenu pour revêtir une signification doublement nouvelle. Et cependant le système repose sur cette acception arbitraire du mot ! C’est dire que le système a pour principe une équivoque. On pouvait s’y attendre. Les philosophies de l’absolu nous ont accoutumés à ces artifices de langage. Quand Spinoza déclare que la substance est sa cause à elle-même, il détourne les mots de leur sens propre, puisque le terme de cause, dans le langage reçu, implique entre la cause et l’effet une distinction dont Spinoza ne tient pas compte. Quand une doctrine issue de Schelling, cherchant à éliminer de l’idée de Dieu tout élément de nature et de nécessité, fait de l’être divin une liberté pure, il est évident de nouveau que le mot de liberté est pris dans une acception inconnue, dans un sens contradictoire, puisque ce mot, d’après l’usage établi, implique des motifs, des mobiles, et par conséquent une nature. Quand un penseur original et longtemps méconnu, Schopenhauer, place le principe des choses dans la volonté, et retrouve ce principe jusque dans le monde inorganique, il devient manifeste qu’il équivoque sur les mots, et peut bien entendre par volonté ce que nous appelons une force, mais non cette détermination consciente du moi pour laquelle nous réservons le terme dont il s’agit. Eh bien ! il en est de même quand Hegel nous parle de l’idée comme antérieure à la chose. En s’exprimant ainsi, il parle un autre langage que le nôtre, car nous avons toujours entendu par idée une image qui se forme ou une conception qui s’opère dans un esprit. Le fait est qu’on ne peut lire Hegel sans se demander s’il faut le prendre au sérieux, si sa métaphysique entière ne serait pas après tout une vaste, métaphore, une personnification, une mythologie.

Accordons toutefois l’idée comme principe et l’être comme point de départ, accordons tout ce que l’on nous demande : le monde au moins sera-t-il expliqué ? L’hypothèse paraîtra-t-elle plausible ? Loin de là. Hegel fait semblant d’ignorer la réalité et d’y arriver par le développement logique de l’idée ; mais au fond il ne fait que découper cette réalité en formules ternaires, labeur à la fois ingénieux et puéril, et qui ne fait illusion à personne. C’est une scolastique