Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/844

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Le système de Hegel est plein de disparates. C’est un mélange de puissance et de faiblesse. Il attire et repousse tour à tour. Il séduit par la hardiesse de la tentative, par la grandeur de la conception, par la richesse des ressources, par la force soutenue de l’exécution ; il scandalise par les violences faites à la réalité, par les tours de passe-passe au moyen desquels l’auteur arrive à ses fins, par la stérilité générale de l’œuvre. L’œuvre est stérile parce qu’elle est contradictoire. Elle l’est dans son essence, elle l’est dans ses termes ; on ne peut l’énoncer sans en faire jaillir la contradiction. Pour comprendre Dieu, il faut être Dieu : un enfant aurait pu dire cela à Hegel.


V

Toute contradiction finit nécessairement par éclater. Les contradictions que renferme la philosophie hégélienne se sont manifestées de plusieurs manières. Les disciples, après la mort du maître, se sont divisés pour suivre des directions opposées, sans cesser pour cela d’invoquer l’autorité de Hegel et de se donner, à l’exclusion les uns des autres, pour ses interprètes authentiques et ses héritiers. légitimes. Voilà pour l’école. Quant au système, il a été miné par les élémens discordans qui se livraient bataille en son sein, et il s’est dissous, laissant derrière lui de grandes ruines, un imposant souvenir, mais laissant aussi dans l’esprit public une incurable défiance à l’endroit de la métaphysique.

La philosophie de Hegel, comme toute grande doctrine philosophique, comme celle de Descartes, celle de Kant et celle de Schilling, a étendu son influence sur les diverses sphères du savoir humain. La science en Allemagne est volontiers philosophique, comme la philosophie à son tour, nous l’avons vu par l’exemple de Hegel, se croit tenue d’être encyclopédique. On sait quelle impulsion l’enseignement de Schelling donna à l’étude de la nature ; Schubert, Steffens, Oken, pour ne nommer que les plus marquans, étaient au nombre de ses disciples. Quant à l’hégélianisme, c’est le champ de la politique et de la théologie qu’il envahit tout d’abord, et c’est là aussi que ses doctrines se sont brisées en se développant.

La Philosophie du Droit, publiée par Hegel en 1820, pourrait s’appeler une philosophie de la politique, ou même une philosophie sociale, puisqu’il y est question de l’état, considéré dans son sens le plus large et le plus élevé. Il faut le dire cependant, cet ouvrage fut regardé comme le principal symptôme de la réaction qui tendait à s’accomplir au sein de la science nouvelle. Hegel, en qui l’on avait salué d’abord le plus hardi des novateurs, semblait maintenant en toutes choses se porter le défenseur de l’ordre établi. Ici en particulier,