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manifestations supérieures de l’idée, et s’il mettait la philosophie au-dessus, c’était en rappelant qu’elles diffèrent moins l’une de l’autre par les vérités qu’elles enseignent que par la manière dont elles les présentent. Ce sont deux formes de l’absolu, lequel, dans l’une, paraît à l’état d’image, tandis que, dans l’autre, il est arrivé à l’état d’idée.

Cette distinction fit une révolution dans la théologie. Hegel, par un mot magique, semblait avoir concilié tous les adversaires et mis fin à tous les débats. Planant au-dessus des controverses, il attribuait à chaque école sa place et sa valeur relative, il reconnaissait dans chaque opinion un élément de la vérité, et, se faisant ainsi un cortège des partis subjugués et rapprochés, il les entraînait tous ensemble à sa suite dans les régions paisibles de l’absolu. Les anciennes discussions ne paraissaient pas seulement mesquines en face des nouveaux horizons qui s’ouvraient, elles semblaient perdre leur sens. Il s’agissait bien en vérité de discuter sur la révélation, sur la nature de Jésus-Christ, sur les miracles, lorsque tout, — la chose et l’homme, le monde et l’histoire, — était devenu comme des manifestations de Dieu. Rationalistes et orthodoxes recevaient plus qu’ils n’avaient demandé. Ceux-ci apprenaient à ne plus voir l’action divine dans tel ou tel fait, sur tel ou tel point, mais partout et en tout ; ceux-là étaient invités à étendre à l’infini les limites de la raison, désormais élevée au rang de principe souverain. Les problèmes n’étaient pas seulement résolus, la position du théologien était éclaircie et assurée. Grâce à la distinction de l’image et de l’idée, il lui était désormais permis en toute bonne conscience d’être savant et de rester chrétien ; il pouvait faire de la philosophie dans son cabinet et porter en chaire les doctrines officielles et le langage consacré. Bref, une alliance définitive paraissait scellée entre ces ennemis séculaires, la science et la foi ; la religion et la philosophie n’étaient plus des rivales, c’étaient des sœurs.

L’intelligence humaine offrit alors un spectacle singulier. Ainsi qu’il lui arrive d’ordinaire, elle était tombée d’un extrême dans un autre. Inquiète des résultats d’une théorie sceptique, elle s’était jetée dans le dogmatisme le plus aveugle. Elle avait renoncé volontairement, impétueusement, non-seulement à toute preuve, mais à toute règle. La contradiction logique avait cessé d’être un signe du faux pour devenir un élément du vrai. Rien n’était plus admis, à moins qu’on ne pût en dire à la fois le oui et le non. On comprend quelles durent être, surtout entre les mains de disciples fanatiques ou bornés, les conséquences d’une pareille méthode. La pensée avait perdu sa loi. Tout sembla également possible et impossible. Il y eut comme une fièvre de paradoxe. C’était à qui jetterait au sens, commun les défis les plus éclatans. Semblables à des enfans en possession