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d’ailleurs, introduit dans sa condition politique. Sa souveraine gouvernait du château de Blois, aussi bien que du château de Nantes, le cher pays qu’elle vint plusieurs fois visiter. C’est à cette période de sa vie que remontent les excursions de la reine-duchesse, par des sentiers à peine frayés, jusqu’aux villages les plus reculés de la péninsule, ses pèlerinages aux sanctuaires ornés par ses dons et doublement consacrés par sa présence. Durant l’année qui sépara la mort du roi de celle de la reine, Louis XII, aux termes de son contrat de mariage, conserva l’usufruit du duché. Le 1er janvier 1515, jour du décès de ce prince, la pleine souveraineté de la Bretagne passa aux mains de Mme Claude, devenue seule duchesse du chef de sa mère, et cette princesse remit, trois mois après, l’usufruit du duché au roi François Ier, son époux, « pour en jouir son dict seigneur et mari la vie durant de celui-ci, et être réputé et tenu vrai duc de Bretaigne, comte de Nantes[1]. » Enfin par son testament, probablement écrit en l’année 1524, qui fut celle de sa mort, la reine Claude légua la propriété du duché de Bretagne au dauphin, son fils aîné, après en avoir attribué de nouveau l’usufruit à François Ier.

Claude avait laissé deux fils : en appelant à la succession ducale l’aîné de ces princes, héritier de la couronne de France, elle avait dérogé dans sa disposition principale au contrat de mariage de sa mère, qui, afin d’assurer dans l’avenir la séparation de la Bretagne, avait attribué cette province au puîné. D’après les historiens bretons, le testament de Claude contraria beaucoup la province ; toutefois les états ne crurent devoir adresser aucune réclamation à la couronne, soit que les idées favorables à l’union eussent depuis trente ans gagné du terrains soit que ce généreux pays ne voulût pas aggraver les périls de la France dans une crise où l’existence de la monarchie était en question. C’était à l’heure de nos héroïques revers en Italie et au plus fort de la lutte soutenue contre Charles-Quint. Notre vieux d’Argentré, malgré ses antipathies contre la France, a enregistré avec une sorte de patriotique orgueil le nom des guerriers bretons qui partagèrent à Pavie la captivité de François Ier[2]. En de pareils temps, des gentilshommes ne pouvaient en effet arguer du droit écrit de ne pas combattre hors des limites de la province. N’y avait-il pas d’ailleurs, pour eux comme pour la France, extrême nécessité d’honneur ? La noblesse bretonne ne marchanda pas son or plus que son sang : elle concourut pour une large part au paiement de la rançon du monarque, et lorsqu’il fallut acquitter, par l’impôt du vingtième, celle des princes demeurés en otages

  1. Don du duché de Bretaigne fait à vie par la reine Claude au roi François Ier, du 22 avril 1515. — Preuves de dom Morice, t. III, col. 939.
  2. Histoire de Bretaigne, liv. XII, ch. 69.