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sur l’ignorance des campagnes, ou l’on vote si bien, et sur les préjugés des agriculteurs, qui ne pourraient, dit-on, s’habituer à un autre régime. Le gouvernement, qui, par le traité conclu avec l’Angleterre, vient de procéder avec tant de hardiesse à la réforme des tarifs applicables à l’industrie, ne tardera sans doute pas à reprendre la question du tarif des céréales ; il aura plus de confiance dans le bon sens des agriculteurs, et ceux-ci comprendront que, s’il est impossible de leur garantir de bonnes récoltes et des prix réguliers, l’expédient le plus simple et le plus efficace pour prévenir ou atténuer les crises consiste précisément dans la liberté du commerce, qui agrandit le marché, diminue, en les partageant, les périls de la hausse et de la baisse, et amortit les secousses par la solidarité qu’elle crée entre les approvisionnemens de tous les pays. L’expérience aura bientôt confirmé les indications que contiennent sur ce point les relevés statistiques.

Nous arrivons à la question du bétail, et pour ne pas compliquer outre mesure ce rapide examen, je ne m’occuperai que de la race bovine. On conviendra qu’il est assez difficile de savoir combien il existe en France de têtes de bétail. De quelle manière s’effectue le recensement, et quelle confiance peut-il inspirer ? Le paysan se livrera, lui, sa femme et ses enfans, au carnet du recenseur ; mais bien souvent il s’abstiendra d’associer son étable à cette formalité administrative. On a rencontré cet instinct de répugnance partout où l’on a voulu se rendre compte de l’existence du bétail. Le gouvernement anglais, qui depuis quelques années essaie d’organiser une statistique agricole et qui a déjà expérimenté divers systèmes, s’est convaincu de la dissimulation profonde qui règne dans les campagnes, lorsqu’il s’agit de dénombrer le bétail. Le cultivateur ne voit dans cette enquête qu’une arrière-pensée d’impôt. L’administration française a-t-elle été plus heureuse ? Il faudrait le croire, puisqu’elle donne des chiffres, reproduits dans l’ouvrage de M. Block, pour les années 1812, 1829, 1839 et 1852. Lors du recensement opéré en 1852, elle a trouvé 12,159,807 animaux de race bovine, nombre presque double de celui qui avait été constaté par le recensement de 1812. Ce total est merveilleux de précision ; les statisticiens exacts ne se contentent pas des sommes rondes et ne nous font point grâce des unités. L’avouerai-je cependant ? une telle précision m’effraie, sans qu’il me prenne envie de contester formellement les chiffres, car il me faudrait administrer la preuve qu’ils sont ou trop faibles ou exagérés, et mon embarras serait grand. Heureusement il n’est pas nécessaire de consulter les chiffres du dénombrement officiel pour établir les progrès réalisés dans la production du gros bétail. Il existe d’autres moyens d’appréciation. Ainsi, comme le fait remarquer M. Block, il est notoire que depuis vingt ans