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Louise de Vaudemont, avait, outre l’ambition innée chez tous les princes de son sang, une position personnelle qui transformait sa présence en Bretagne en un péril sérieux pour la couronne. Par lui-même et par Marie de Luxembourg, sa femme, Mercœur se trouvait représenter les maisons de Blois et de Penthièvre, et sur sa tête étaient venues se confondre toutes les prétentions que Louis XI avait rajeunies en les achetant, et qui, pour dater de deux siècles, n’en conservaient pas moins un caractère que les circonstances pouvaient rendre très redoutable. En quel temps les intérêts français dans la péninsule se trouvaient-ils confiés, à une famille qui n’hésitait pas à se prévaloir d’une origine carlovingienne pour menacer le droit héréditaire de la branche de Bourbon ? Au moment même où la descendance d’Anne de Bretagne allait s’éteindre dans la personne du dernier fils d’Henri II, lorsqu’une interprétation de l’acte d’union, rationnelle sans doute, mais peut-être contestable, plaçait tout à coup la province en présence du roi de Navarre, que son sang lui rendait étranger et sa religion antipathique. Telle fut l’épreuve traversée par la péninsule à la mort d’Henri III, épreuve décisive pour la fidélité bretonne, et d’où ce pays, contraint de lutter à la fois contre ses propres instincts et contre les insidieuses menées de son gouverneur, ne sortit qu’à force de bon sens, de prudence et de loyauté.

Sans jeter le masque à son installation, en observant même trois ou quatre ans les convenances que lui prescrivait encore son titre de beau-frère du roi, Mercœur prépara tout pour s’organiser un parti, pour se donner une armée, et afin d’échapper au péril d’une succession que chaque moment pouvait ouvrir, la Bretagne se précipita, avec une résolution plus persévérante que les provinces mêmes où la ligue avait pris naissance, dans le mouvement auquel elle avait si longtemps refusé de prendre part. Lorsqu’au 1er août 1589, le poignard de Jacques Clément eut inauguré la royauté du Béarnais dans ce camp de Saint-Cloud si travaillé de perplexités qu’il manqua d’échapper à son général devenu roi, tout s’arma au son du tocsin dans les villes et dans les campagnes bretonnes ; Cette population forte et naïve trouva naturel de donner pour défendre sa foi le reste d’un sang qu’elle prodiguait depuis six siècles pour défendre son indépendance. Les places de guerre levèrent, il est vrai, les herses de leurs ponts-levis, mais les paysans assiégèrent les villes fermées, et, la faux à la main, ils coururent sus aux couleuvrines. Le duc de Mercœur, se trouvant maître de la Bretagne malgré la présence de nombreuses garnisons françaises presque partout bloquées, résolut d’opposer un centre administratif et politique au parlement de Rennes, qui, sous l’inspiration de l’esprit particulier à la magistrature,