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le rival du prince lorrain, dont l’armée opérait avec la sienne. Cette double prétention servit singulièrement l’intérêt français en Bretagne, car elle paralysa toutes les tentatives du duc de Mercœur, en imprimant à l’ensemble de sa conduite un cachet de duplicité timide. Cette province s’était trop épuisée dans la lutte pour trouver la force de se débarrasser de ses alliés, et plusieurs années après la conversion d’Henri IV, lorsque les principaux chefs de la ligue avaient traité avec le roi par l’intermédiaire du maréchal d’Aumont, commandant des forces françaises dans la Bretagne, les Espagnols continuèrent d’en occuper les meilleurs havres et de verser sur ses rivages des hommes, des armes et de l’or, afin d’y prolonger la guerre avec un contingent de bandits pris sous tous les drapeaux et dans l’écume de tous les partis. Cette guerre de brigands, qui dura jusqu’à la fin de 1597, dépassa certainement les horreurs de nos luttes révolutionnaires. Le fer et le feu, à leur suite la peste et la famine, changèrent en solitudes de vastes cantons de cette malheureuse contrée[1]. D’immenses ruines attestent encore de nos jours la sinistre présence de Lafontenelle, qui, par la cruauté réfléchie de ses combinaisons et le nombre à peine croyable de ses victimes, occupe peut-être le premier rang dans l’échelle des monstres historiques. Après de telles épreuves, on comprend avec quel bonheur la Bretagne dut se reposer dans la paix ; on devine quelles unanimes acclamations accueillirent Henri IV lorsque, réconcilié avec l’église, il vint donner à Nantes un édit immortel de pacification, et lorsqu’on se faisant conter par Mercœur, repentant et pardonné, les émouvans épisodes, de cette longue

  1. « Dieu suscita les traits de son courroux sur son peuple en faisant un exemplaire chastiment, in virgâ ferreâ, et fit aussi en Cornouaille un monde nouveau en petit nombre et comme un séminaire du futur, avec tant de désolation que telle paroisse où il y avoit avant la guerre plus de 1,200 communians à Pasques, sans comprendre autant d’enfans qui n’avoient encore atteint l’âge, l’année de la paix qui fut en 1597 il ne s’en trouvoit pas douze, et ainsi par toutes les paroisses, entre autres celles qui estoient éloignées des villes et places de retraite… Bonne partie du menu peuple moururent de nécessités, sans qu’il y eust moyen de les soulager à cause de la ruine générale et dépopulation des champs par les gens de guerre ; et fut la misère si grande ès-quatre années par les quatre fléaux de Dieu, guerre, peste, famine et bestes farouches,… que la guerre apporta la famine, puis la peste, à ce qui échappoit à la cruauté des soldats ou plutost des brigands, si bien que les pauvres gens n’avoient pour retraite que les buissons où ils languissoient pour quelques jours, mangeant de la vinette et autres herbages aigrets, et même n’ayant moyen de faire aucun feu, crainte d’estre découverts par la fumée. Et ainsi mouraient dedans les parcs et fossés, où les loups, les trouvant morts, s’accoutumèrent si bien à la chair humaine, que dans la suite, pendant l’espace de sept ou huit ans, ils attaquèrent les hommes même armés, et personne n’osoit aller seul. Quant aux femmes et enfans, il les falloit enfermer, car si quelqu’un ouvrait la porte, il estoit le plus souvent happé jusque dans la maison. » — Moreau, Histoire des guerres de la Ligue en Bretagne et particulièrement en Cornouaille, p. 336 et suiv.