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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/982

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la diversité des opinions émises n’ont guère réussi jusqu’à présent qu’à rendre la conviction plus difficile et le doute plus excusable. À force de remonter aux causes premières et d’interroger l’antiquité sur les origines de la gravure et de la typographie, les écrivains techniques ont singulièrement élargi parfois le sens des traditions et confondu trop volontiers de simples accidens matériels avec les premiers symptômes de l’art, Était-on par exemple dûment autorisé à relier la série des graveurs modernes aux hommes qui, « même avant le déluge, gravaient sur les arbres l’histoire des temps, des sciences et de la religion[1] ? » Suffisait-il, d’autre part, qu’un historien eût mentionné certaine ruse à peu près typographique du roi de Sparte Agésilas, pour qu’on n’hésitât pas à ranger celui-ci parmi les ancêtres de Gutenberg ? Il est possible que, dans un sacrifice offert aux dieux à.la veille d’une bataille décisive, Agésilas ait eu l’adresse de tromper ses soldats en imprimant sur le foie de la victime le mot victoire, préalablement écrit à rebours dans la paume de sa main. En tout cas, une pareille supercherie n’intéresse l’art que d’assez loin, et s’il fallait considérer le héros grec comme l’inventeur de la typographie, il faudrait aussi convenir que l’on a bien tardé à profiter de ses exemples, puisque la découverte n’est devenue féconde qu’au bout de dix-huit siècles. On nous permettra donc de laisser de côté les hypothèses sur le principe même de cette découverte, pour tenir compte seulement des faits qui semblent accuser, non plus un vague pressentiment de ses ressources futures, mais une pratique raisonnée et continue de ses procédés, une fois définis. Vers quel moment les produits de la gravure sur bois, multipliés par l’impression, ajoutèrent-ils aux autres moyens de l’art un moyen nouveau et destiné à une popularité prochaine, voilà ce qu’il suffira de rechercher, tel est le point de départ qu’il convient de choisir ici, sans remonter à des informations d’autre sorte, à des spéculations archéologiques que légitimeraient plus ou moins certains passages de Cicéron, de Quintilien, de Pétrone, de saint Jérôme, et, — mieux qu’aucun autre écrit peut-être, — quelques phrases de Pline sur les livres ornés de portraits que possédait Marcus Varron.

En se proposant d’ailleurs de n’envisager la question historique qu’à partir d’une époque relativement moderne, on n’est sûr pour cela d’obtenir ni des garanties tout à fait suffisantes, ni des notions tout à fait précises. Même réduite à ces termes, une pareille question est assez compliquée encore pour alimenter la controverse, assez vaste pour donner place à la tradition légendaire aussi bien qu’à l’aperçu critique. Que la xylographie, c’est-à-dire l’art d’imprimer sur papier

  1. Papillon, Traité de la Gravure sur bois, 1766.