transport. Le roulier arrive avec ses chevaux jusqu’à l’entrée du chemin rural, d’ordinaire assez mauvais pour qu’il n’ose pas s’y engager ; le fermier vient avec ses bœufs et sa charrette chercher la chaux sur la route. Encore du temps perdu par suite du mauvais état des communications ! Il n’est pas douteux non plus que les marchands de bestiaux n’aiment mieux embarquer leurs animaux dans les wagons le long de la ligne, plutôt que de leur faire accomplir à pied une longue route pendant laquelle les animaux perdraient de leur valeur. Il y a tout avantage, en un mot, à faire passer dans le Bocage un chemin de fer à portée de la production des campagnes, qui est grande, plutôt qu’à portée de la consommation des villes, qui est insignifiante.
Si quelques habitans sont venus augmenter la population du Bocage, ce n’est pas dans les villes, mais dans la campagne qu’ils se sont établis. Beaucoup de propriétaires ont depuis quelques années fait bâtir des habitations, et passent la saison d’été dans ce pays, où ils ne venaient autrefois que le plus rarement possible. Ils ont été séduits par cette vigoureuse nature avant même de savoir ce qu’elle recelait de richesses. La beauté du pays, de ces bords de la Sèvre qui ont inspiré Poussin, viendra en aide à sa prospérité croissante. La terre, presque partout cultivée par des fermiers, a besoin de l’œil du maître. La guerre civile avait laissé le pays dévasté, les maisons brûlées ; aujourd’hui les bâtimens, construits par de mauvais ouvriers, avec le moins de dépense possible, sous le coup de la nécessité pressante, tombent en ruine pour la plupart. S’ils sont encore debout, ils sont insuffisans pour une production qui a plus que doublé en vingt ans. Le fermier ne peut améliorer la terre qu’en augmentant le nombre de ses bestiaux ; or le climat du Bocage ne permet point au bétail de vivre en plein air, il faut des bâtimens pour le loger. Les maisons des cultivateurs sont elles-mêmes misérables et insalubres ; elles gardent trop fidèlement le souvenir du temps où leurs habitans vivaient volontiers dans la pauvreté. À mesure que l’aisance s’accroîtra, ils deviendront plus exigeans : ils voudront plus d’air, plus de lumière. La division de la propriété, qui amène avec elle les querelles de voisinage et rend le séjour dans certaines contrées désagréable aux propriétaires, ne pourra jamais être poussée à l’extrême dans le Bocage, où la nature du terrain exige pour la culture de forts attelages. Avant la satisfaction de tout intérêt, la vie des champs s’y fait aimer. L’amélioration des chemins, une ligne ferrée, satisferaient les désirs légitimes d’une population laborieuse qui voudrait sortir de son isolement. Dieu veuille que la solution de ces questions soit prochaine et soit celle que réclament les intérêts véritables de la contrée !
HENRI PROUST.
V. DE MARS.