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Barbare, qui avait à peine connu la cour de Constantinople, alla sans doute, dans cette visite, d’ébahissement en ébahissement ; toutefois, suivant sa promesse, il partit le lendemain, au point du jour. Tant qu’il resta dans ces murs sacrés, Alaric conserva une sorte de terreur superstitieuse, qui ne s’effaça que par degrés quand il fut dehors. Néanmoins les païens zélés, rhéteurs ou sophistes compromis dans l’enseignement de l’hellénisme et de la théurgie, avaient eu soin de s’esquiver pendant la journée, soit que la mansuétude du Barbare ne les rassurât pas complètement, soit que le voisinage des hommes en manteau noir fût un épouvantail pour eux. La plupart se dirigèrent vers Mégare avec leurs familles pour gagner Corinthe et le Péloponèse ; mais ils rencontrèrent en route les soldats goths, qui les arrêtèrent et en tuèrent plusieurs. Parmi ces derniers se trouva le sophiste Priscus, initiateur de l’empereur Julien aux mystères de la magie : l’hellénisme le compta parmi ses martyrs.

Ainsi se passa la prise d’Athènes par Alaric, ou pour parler plus exactement la visite du roi des Goths dans la cité de Minerve. Au lieu d’attribuer à des causes naturelles la modération du Barbare, le peuple athénien, toujours vain, toujours léger et entêté de ses folles superstitions, imagina une fable qui, flattant à la fois son orgueil et l’orgueil païen, devint pour tout véritable hellène l’explication incontestable de l’événement. Les Athéniens racontèrent qu’au moment de donner l’assaut, le roi ennemi, poussant une reconnaissance au pied des murailles, avait aperçu un être surhumain qui en faisait le tour, comme une sentinelle attentive, et dont la forme, la taille, le visage, l’armure rappelaient à s’y méprendre les statues de Pallas. Troublé de cette vision, ajoutaient les mêmes témoins, Alaric avait porté ses regards au haut des murs, et là s’était montrée à lui la figure d’un guerrier gigantesque, agitant une énorme pique et lançant du feu par ses prunelles : c’était, disaient encore les Athéniens, le divin Achille lui-même, dans l’attitude où le représente Homère lorsque, transporté de fureur, il court venger sur les Troyens la mort de Patrocle. Cette vue ayant fait perdre au roi des Goths toute envie d’attaquer une ville si bien gardée, de son plein gré il avait offert la paix aux magistrats. Telles étaient les fictions dont se berçait l’hellénisme expirant pour se persuader à lui-même qu’il était une doctrine vivante et le faire croire au monde, et plus d’un de ces pieux mensonges, recueilli par la crédulité des contemporains, s’est glissé dans l’histoire avec toutes les prétentions de la vérité. L’historien Zosime, dévot polythéiste, ne craignait pas d’affirmer encore au bout de près d’un siècle la sincérité de ce récit.

Alaric rejoignit son armée sur la route qui conduisait d’Athènes à Corinthe, le long du golfe de Salamine ; Eleusis fut sa première