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tout genre en échange du raw material, tandis que les Américains exigeaient de l’argent.

Toutefois ce n’est pas du jour au lendemain que ce mouvement peut s’accomplir, et il n’en faut pas moins faire face aux nécessités présentes. Le Times du 21 janvier 1861 a reproduit un article de l’Economist où l’on essayait d’expliquer la position que ferait à l’Angleterre manufacturière la cessation partielle ou complète, absolue ou momentanée, de la culture du coton dans les états à esclaves de l’Union américaine. Nous sommes fâché de le déclarer, il nous a été impossible de voir dans cet article autre chose qu’un vain effort pour calmer les inquiétudes du moment, une argumentation aussi dangereuse qu’incorrecte. En premier lieu, ce dont l’auteur ne paraît pas tenir un compte suffisant (lorsqu’il dit que la récolte peut manquer aux États-Unis, sans qu’une grande secousse en soit le résultat, parce que les produits d’autres pays viendraient, selon lui, combler le déficit), c’est que les qualités de coton dont nous serions privés sont justement celles qu’on emploie le plus, c’est-à-dire les courte-soie à très bon marché, affectées à la consommation des masses, et qu’aucune autre contrée n’a cultivées jusqu’à présent. Les sea islands n’entrent que pour une légère fraction dans le total des exportations du Nouveau-Monde, et tous les autres cotons connus à Liverpool, sauf les provenances de l’Inde, sont à longue soie et coûtent de 3 à 6 pence plus cher que les qualités ordinaires des États-Unis. La proximité des lieux de production ne semble pas entrer davantage dans les calculs de l’Economist. Quelle est la contrée d’où Liverpool pourra recevoir d’ici à longtemps des chargemens de coton en trente jours, par navires à voiles et à fret réduit ? Le prix du nolis n’est pas un item à dédaigner.

L’article de l’Economist soulève une autre objection. L’auteur met arbitrairement la main sur la récolte d’Égypte. Et pourquoi les produits des bords du Nil seraient-ils réservés exclusivement à l’Angleterre ? Appuiera-t-on cette nouvelle théorie free tradist de canons Armstrong ou de beaux écus comptans ? Ces raisonnemens égoïstes appartiennent à une époque passée ; il pourrait même paraître impertinent de les ressusciter, surtout lorsqu’on prêche l’abolition des monopoles. Y en a-t-il un plus odieux que celui qui s’arroge l’omnipotence, quel que soit son pavillon ? Même dans l’Inde anglaise les autres nations iront charger du coton, et nous aimons à croire que la Grande-Bretagne n’élèvera aucune forteresse contre l’invasion de bonnes pièces d’or venant s’échanger contre des balles de coton produites dans ses possessions d’Asie.

La crise, dit-on encore, ne sera pas de longue durée : telle contrée produira tant, telle autre davantage, celle-ci plus, celle-là moins,