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peuples dont il traînait naguère les épouses captives, dont il a égorgé les enfans. C’est ainsi que l’Orient sait punir, c’est ainsi qu’il venge ses outrages. » — « Alaric, dit-il encore, vous ne seriez plus, ni ton armée, ni toi, si la trahison, déguisée sous le nom sacré de loi, ne fût venue vous couvrir et vous arracher à la vengeance. »

Ces lamentables événemens portèrent dans tous les cœurs patriotes, dans tous les esprits prévoyans, une tristesse amère. À la vue de ces tribus barbares, errant sur le sol romain en corps de nation, et que des ministres ambitieux se rejetaient de l’un à l’autre comme un disque dans une palestre, on maudit le jour où Valens avait accueilli les Goths sur la rive droite du Danube, au lieu de les laisser périr entre le fleuve et les Huns. Théodose non plus n’échappait pas au blâme : il avait, répétait-on, livré aux étrangers trop de postes importans ; en excitant l’ambition des chefs barbares, il leur avait inspiré l’envie de gouverner l’empire ou de le bouleverser. Maintenant que ces prétentions insolentes étaient justifiées par le succès d’Alaric, qu’allait devenir le gouvernement romain, harcelé par autant d’ambitieux mécontens qu’il aurait de rois barbares dans ses armées ? On savait par quel procédé s’obtenaient les grades, les commandemens, les augmentations de solde, et il n’était Barbare si misérable qui n’en usât désormais : Alaric révélait à la barbarie le secret de sa toute-puissance.

Voilà les craintes qui agitaient beaucoup d’esprits, et elles firent explosion dès cette même année 396, en présence de l’empereur et de sa cour, dans une occasion solennelle. L’avertissement venait des extrémités occidentales de l’empire d’Orient, de cette province de Cyrène attenante d’un côté à l’Égypte, de l’autre à l’Afrique carthaginoise, et qu’on désignait sous le nom de Pentapole à cause des cinq villes qu’elle renfermait. Elle venait d’être frappée de tous les fléaux de la nature et des hommes : à des tremblemens de terre qui ébranlèrent plusieurs de ses villes avait succédé une plaie de sauterelles amenées par le vent du désert : tout fut dévoré jusqu’à l’écorce des arbres ; puis, au milieu des angoisses de la famine, un soulèvement des tribus indigènes mit le comble à la ruine publique. Hors d’état de payer ses impôts, la province en demanda décharge au gouvernement, et, suivant toute apparence, elle joignit à cette prière celle d’une prompte assistance contre les Barbares. Un décret voté collectivement par les villes de la Pentapole dut aller porter leurs doléances au pied du trône impérial, et Cyrène fut chargée de composer la députation, ou, suivant l’expression officielle, la légation qui se rendrait dans la métropole de l’Orient. Ces légations étaient un des actes les plus importans de la vie provinciale ou municipale.