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l’esprit souvent étroit de la province. Ils s’intéressaient à tout et n’étaient étrangers à rien. Ils y mettaient même une sorte de coquetterie, et l’on pouvait comparer leur esprit à leur maison, vaste, propre, austère, mais égayée par les plus belles fleurs, et s’ouvrant sur l’aspect grandiose du lac et des montagnes.

Les deux filles, Adélaïde et Rosa, étaient allées voir une tante à Morges. On me montra le portrait de la petite Rosa, dessiné par sa sœur. Le dessin était charmant, la jeune tête ravissante ; mais il n’y avait pas de portrait d’Adélaïde.

On me demanda si je me souvenais d’elle. Je répondis hardiment que oui, bien que ce souvenir fût très vague. — Elle avait cinq ans dans ce temps-là, me dit Mme  Obernay ; vous pensez qu’elle est bien changée ! Pourtant elle passe pour une belle personne. Elle ressemble à son père, qui n’est pas trop mal pour un homme de cinquante-cinq ans. Rosa est moins bien, elle me ressemble, ajouta en riant l’excellente femme, encore fraîche et belle ; mais elle est dans l’âge où l’on peut se refaire !

Henri Obernay était parti en tournée de naturaliste avec un ami de la famille. Il explorait en ce moment la région du Mont-Rose. On me montra une lettre de lui toute récente où il décrivait avec tant d’enthousiasme les sites où il se trouvait que je me décidai cà aller l’y rejoindre. Déjà familiarisé avec les montagnes et parlant tous les patois de la frontière, il me serait un guide excellent, et sa mère assurait qu’il allait être heureux d’avoir à diriger mes premières excursions. Il ne m’avait pas oublié, il avait toujours parlé de moi avec la plus tendre affection. Mme  Obernay me connaissait comme si elle ne m’eût jamais perdu de vue. Elle savait mes penchans, mon caractère, et se rappelait mes fantaisies d’enfant, qu’elle me racontait à moi-même avec une bonhomie charmante. En voyant qu’Henri m’avait fait aimer, je jugeai avec raison qu’il m’aimait réellement, et mon ancien attachement pour lui se réveilla. Après vingt-quatre heures passées à Genève, je me renseignai sur le lieu où j’avais bonne chance de le rencontrer, et je partis pour le Mont-Rose.

C’est ici, lecteur, qu’il ne faut pas me suivre un guide à la main. Je donnerai aux localités que je me rappelle les premiers noms qui me viendront à l’esprit. Ce n’est point un voyage que je t’ai promis, c’est une histoire d’amour.

À la base des montagnes, du côté de la Suisse, s’abrite un petit village, les Chalets-Saint-Pierre, que j’appellerai Saint-Pierre tout court. C’est là que je trouvai Henri Obernay. Il y était installé pour une huitaine, son compagnon de voyage voulant explorer les glaciers. La maison de bois dont ils s’étaient emparés était grande, pittoresque, et d’une propreté réjouissante. On m’y fit place, car