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Garibaldi descendit au Phare, puis nous le vîmes de loin passer en voiture sur la route qui côtoie la mer et rejoint Messine. Il se rendait, sans repos, à Taormina, où il allait inspecter la première brigade qui devait tenter le débarquement en terre ferme. À grand’peine, nous nous procurâmes une barque qui, manœuvrée par trois rameurs, nous conduisit assez promptement à Messine malgré des vagues brisantes et le vent contraire.


II

J’ai gardé un pauvre souvenir de Messine. Je me rappelle une grande ville sale où l’on sonne les cloches jour et nuit ; ce ne sont pas ces jolis carillons hollandais qui, du haut des vieilles cathédrales gothiques, s’envolent dans les airs en notes éclatantes ; ce n’est pas le sourd mugissement de nos bourdons qui répandent l’imposante harmonie de leur appel à la piété : c’est un gros bruit bête et agaçant qui se renouvelle sans cesse, dix fois par heure, sans rime ni raison, comme si les cloches sonnaient toutes seules, pour l’unique plaisir de sonner. Si l’on joint à cela le battement des tambours, le son rauque des trompettes, le chant des volontaires qui passent par bandes dans les rues, les coups de fusil que les Siciliens nouvellement armés tirent à toute minute et sous tout prétexte pour se bien convaincre que leurs fusils sont de vrais fusils, le grincement des chars primitifs traînés par des bœufs, le cri des bourriquiers qui excitent leurs ânes, des cochers qui animent leurs chevaux, des portefaix qui se font faire place, des marchandes piaillardes qui glapissent leurs denrées, des officiers qui commandent, enfin le bruissement régulier des soldats qui font l’exercice, on aura l’ensemble d’un brouhaha fait pour exaspérer les nerfs les plus pacifiques.

Notre armée n’était point irréligieuse, comme on serait tenté de le croire, et tous les dimanches, chaque brigade, précédée de sa musique, s’en allait entendre la messe. De ma fenêtre, je voyais passer nos jeunes soldats, un peu débraillés, vêtus d’une couleur plutôt que d’une façon uniforme, marchant en rangs souvent mal alignés, causant entre eux, interpellant les passans, coiffés au hasard de leur fantaisie, mais gais, vifs, alertes, poussant l’élément bon enfant aussi loin que possible, plus subordonnés que disciplinés, rentrant difficilement à l’heure de la retraite, mais accourant à la première sonnerie d’alarme, et rappelant d’une façon frappante ces petits gardes mobiles qui ont tant occupé Paris en 1848. À ce moment, l’armée méridionale pouvait compter quinze mille hommes sous les armes, répartis en trois divisions commandées par les généraux Türr, Medici et Cosenz. Plus tard, lorsque les renforts envoyés