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et éloignée de Messine, son lieu de ravitaillement, de plus de trois lieues. Un corps d’armée jeté en arrière du Phare, pendant que des vaisseaux l’eussent attaqué par devant, pouvait prendre toutes nos positions à revers et nous jeter dans le détroit. Les Napolitains n’y pensèrent, ne l’osèrent ou ne le voulurent pas. Michelet a raison, Garibaldi est heureux, et si jamais homme eut une étoile, c’est lui !

Les attaques comme celle qui venait d’avoir lieu étaient fréquentes ; elles se renouvelaient presque toutes les nuits, et il ne se passait guère de jour sans que l’on échangeât des coups de canon avec la croisière, composée de deux frégates et de plusieurs bricks à vapeur. Voulait-on faire ainsi de sérieuses démonstrations contre le Phare ? Je ne le crois pas. On voulait, nous tenant constamment en alerte, nous menaçant sans relâche d’une affaire qui pouvait devenir grave et tourner mal pour nous, forcer Garibaldi à conserver ses troupes sur les côtes siciliennes et l’empêcher de tenter le débarquement dans la Calabre ultérieure première, dont les montagnes semblaient nous convier et nous attendre. Ruse si grossière ne pouvait prendre un homme tel que Garibaldi, qui, en dehors de ce sens droit et bon conseiller qui jamais ne l’abandonne, semble, dans son long séjour en Amérique, avoir emprunté aux peaux-rouges quelque chose de leur prodigieuse finesse. Aussi les préparatifs de débarquement se continuaient avec activité, et nous-mêmes nous regardions avec envie du côté de cette terre italienne où tendaient tous nos vœux.

Deux cents hommes y étaient déjà depuis plus de quinze jours, seuls, sans communications avec nous, perdus à travers les monts inaccessibles, tenant la campagne malgré les corps d’armée qui les environnaient, et nous dénonçant leur présence par la haute fumée de leurs signaux de feu. C’est Missori qui commandait ces braves, et jamais plus hardi capitaine ne fut mieux choisi pour si aventureuse expédition. Missori est ce qu’on appelait jadis un raffiné. Il est fort jeune, très recherché dans sa mise, d’une élégance un peu nonchalante, causeur aimable, fort intelligent, et projetant au-delà des événemens une pensée lointaine, toujours juste et souvent pleine de grandeur. Il est né à Milan, mais depuis longtemps il n’est plus Lombard, il est Italien. En 1848, il avait quatorze ans, il se sauve de son collège et va faire le coup de fusil contre les Autrichiens en chantant : Va fuori, straniero ! De ce moment, sa famille mit à le surveiller une insistance extraordinaire ; mais le jeune homme, j’allais dire l’enfant, la déjouait toujours, et un beau matin on trouvait la chambre vide et la fenêtre ouverte. L’oiseau avait pris le chemin des airs. Où était-il ? En Crimée, à Como, à Marsala, à Calatafimi, en tout endroit où un Italien se battait pour l’agrandissement moral ou politique de sa patrie. À Melazzo, jeté bas de son cheval troué d’un