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aux études spéciales qui avaient occupé sa vie lorsqu’il était officier de marine, il rendit des services qui lui valurent une position importante, importante relativement, car il était simple et sans besoins. Il quitta tout et courut rejoindre Garibaldi en Sicile, combattre pour cette liberté qu’il aimait avec passion, sachant bien que la liberté est une pour les peuples, et que délivrer une nation, c’est travailler à l’affranchissement de toutes les autres. Il succomba comme je l’ai raconté ; il avait alors quarante-deux ans et demi.

M. E. Forcade a écrit[1] : « Cette révolution italienne n’a jusqu’à présent, et dans des camps contraires, coûté la vie qu’à deux hommes marquans ; pourquoi faut-il que ces deux victimes de la révolution italienne soient des Français, M. de Flotte et M. de Pimodan ? » Cela devait être, car ces deux hommes intègres, désintéressés, sincères tous les deux, étaient les soldats des deux principes qui combattent depuis tant d’années en France, et qui font nos luttes, nos découragemens, nos opinions implacables : la liberté et l’autorité. Chacun dans son parti, ils furent chéris et respectés ; ils furent, ce qui est rare à notre époque où l’intérêt bouleverse et amalgame les principes les plus divergens selon les besoins de la minute, ils furent imperturbablement conséquens à leur principe : l’un, — adversaire convaincu de la révolution française, croyant au droit divin, ancien aide-de-camp de Radetsky et de Windischgraetz, — en allant combattre pour l’autorité élevée à l’état de dogme et poussée jusqu’à l’infaillibilité ; l’autre, — cherchant partout des alliés à la révolution française, fervent adepte de la souveraineté du peuple, ancien soldat des barricades, — en allant combattre pour la liberté dans sa forme la plus violente, l’insurrection armée. Chacun d’eux représentait bien une des vertus de cette France contradictoire, vertus qu’on a appelées l’esprit de routine et l’esprit d’aventure, mais que je nommerai, avec plus de justesse, la fidélité et la recherche du mieux. Pour ma part, je ne plains pas ces deux hommes si différens l’un de l’autre à la surface et si semblables au fond par l’abnégation, le courage et le dévouement, car ils sont tombés pour la cause qu’ils avaient librement choisie, et je pense que lorsqu’un sacrifice sérieux et désintéressé s’accomplit quelque part, il est bon que notre France expansive y soit présente par un de ses enfans.


MAXIME DU CAMP.

  1. Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1860, p. 734.