Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/432

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

incessamment son zèle, reconnaître ses bons services par de bons procédés, l’intéresser enfin directement au succès par une part quelconque dans les bénéfices. Toutefois la régie, par cela même qu’elle suppose un propriétaire très riche, ne tend pas toujours à se préoccuper assez du résultat financier de l’entreprise. Le mieux serait alors de procéder par une exploitation personnelle et directe, avec la seule complication d’un homme de confiance, maître-valet intelligent qui remplace le propriétaire quand celui-ci s’absente, et organise en sous-ordre les détails pendant tout le temps que le propriétaire réside sur son domaine. La plupart des fonctions du régisseur appartiennent également au maître-valet ; on peut se reposer sur lui des ennuis et des détails auxquels, tout en les vérifiant, on ne veut pas quotidiennement s’astreindre[1]. Il n’en travaille pas moins manuellement comme les autres ouvriers de la ferme, concerte davantage avec le propriétaire l’ensemble et la suite des opérations auxquelles il concourt. Il occupe une position plus subalterne, il a reçu une éducation plus sommaire : il a donc besoin et il accepte d’être surveillé et dirigé lui-même dans la direction qu’il transmet, d’où il résulte pour le chef suprême une préoccupation plus sérieuse, une attention plus suivie, et cette obligation est excellente en ce qu’elle attache plus intimement le propriétaire à la vie rurale et prolonge son séjour à la campagne. Les travaux agricoles de MM. de Tracy, de Kergorlay[2] et de beaucoup d’autres ne les retiennent pas toute l’année sur leurs domaines. Cependant les vacances du propriétaire autorisent toujours chez les ouvriers quelque ralentissement de zèle et quelques petits gaspillages dans l’emploi des choses. C’est donc, en fin de compte, une sorte

  1. La pratique des ventes à la campagne est, comme celle des achats, une des moins compatibles avec les habitudes des hommes bien élevés. Il faut, sur un marché de bestiaux, dire tant de paroles, discuter si longtemps à propos et à côté de la valeur de la bête dont il s’agit, recourir en un mot à des procédés et à une rhétorique tellement en contradiction avec la tournure d’esprit des hommes instruits, que souvent ces derniers ne peuvent jamais s’y faire. Un prix fixe ne semble pas possible au paysan, qui paiera plus volontiers une bête 200 francs en la marchandant que 195 sans discussion. C’est alors surtout qu’intervient utilement le maître-valet, à qui l’on peut, en lui précisant le chiffre auquel on tient, laisser tout le labeur de cette étrange diplomatie. Quand il s’agit de grains, le maître a moins besoin de se mêler de l’affaire, parce que la mercuriale lui dit à peu de chose près à quel prix son domestique a pu vendre ou acheter. Du reste, l’amour-propre du maître-valet étant lui-même mis en jeu, le propriétaire n’a pas ordinairement à se plaindre (la question de probité en dehors) de l’intervention de son remplaçant.
  2. Tout le monde sait que MM.de Tracy et Kergorlay dirigent, l’un dans le département de l’Allier, l’autre dans le département de la Manche, d’importantes exploitations. M. de Tracy a, par la culture du topinambour, singulièrement augmenté la valeur de sa propriété. Les succès de M. de Kergorlay, plus particulièrement basés sur l’amélioration des prairies, lui ont valu, en 1859, la prime d’honneur du concours régional.