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nombre de Bastards embrassèrent le christianisme et se fixèrent à Klarnwatter. Pour se distinguer de ceux qui continuaient à mener une vie vagabonde et faire oublier le mépris qui s’attachait à leur nom, ils prirent le nom de Griquas[1], donnèrent à leur capitale le nom de Griqua-Town, et se choisirent des chefs pris successivement dans la même famille, celle des Kok.

L’importance des Griquas s’accrut assez rapidement par l’adjonction de nombreux Bastards, qui se rallièrent au premier noyau, et par celle d’un nombre encore plus considérable de Koranas, de Namaquois et même de Boschismen, qui avaient embrassé le christianisme ou venaient chercher un appui dans le voisinage des missionnaires. Le gouvernement du Cap commença à s’inquiéter des progrès de cette colonie naissante. En 1819, un agent officiel, M. John Melville fut envoyé à Griqua-Town à la suite de quelques troubles, le pouvoir fut remis par élection entre les mains d’un nommé André Waterboer, homme vraiment remarquable, qui, destiné d’abord à remplir les modestes fonctions d’instituteur, sut pendant trente ans gouverner ses sujets volontaires avec autant de fermeté que de prudence et se maintenir dans les meilleurs termes avec les autorités ombrageuses du Cap. Mais Waterboer dépossédait la famille Kok, qui avait ses partisans ; il avait dans ses veines du sang de Boschisman[2] ; il maintenait avec une inflexible rigueur les lois établies sous son inspiration contre le brigandage, contre l’introduction des liqueurs fortes ; il blessait à la fois des intérêts, des préjugés, des passions. Aussi fut-il abandonné par une partie de son peuple, qui, sous les ordres d’Adam Kok, alla fonder ailleurs Philippolis, et cette dernière ville, placée dans de meilleures conditions, a fini par prendre le dessus sur Griqua-Town.

Ainsi les Griquas résultent du mélange de métis à divers degrés, avec une prédominance incontestable du sang indigène ; mais ils ne représentent point à eux seuls le produit des croisemens accomplis au Cap. Ils sont une peuplade organisée et qui a pris un nom ; ils ne sont pas une race. Cela est si vrai, qu’ils sont restés distincts des Bastards proprement dits. Ceux-ci ont également leurs villages, entre autres la Nouvelle-Platberg, fondée par les missionnaires wesleyens. De race moins mélangée, ils ont les cheveux moins crépus, la couleur plus claire, les traits moins prononcés ; leurs familles

  1. L’étymologie de ce nom a donné lieu à dos discussions qui ne paraissent pas avoir produit un résultat bien certain.
  2. Les Boschismen sont méprisés et détestés de toutes les autres tribus hottentotes ou cafres. L’élection de Waterboer, qui se rattachait à ce rameau des races locales, bien loin d’être, comme on l’a cru, la preuve du triomphe de la nationalité, fut une véritable victoire remportée sur un préjugé que constatent tous les voyageurs.