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Pleine des visions que le sommeil t’amène !
Et toi, mêlant ton âme et tes larmes aux leurs,
Tu leur as pris un peu de ce qui fait leur peine.

Tu bois en respirant les délires heureux,
Les regrets palpitans du passé qui t’effleure.
L’air en est fait. Tu sens, tu vis, tu meurs par eux !

O ma chère beauté, qu’elle est douce cette heure,
Cette heure d’union où mon cœur amoureux
En ton rêve, en toi-même, a trouvé sa demeure ! —
 
La reine captivée, interdite, suivait
Dans ses hardis écarts l’esclave au doux langage ;
Puis dans un monde neuf l’enfant se retrouvait,

Et ses yeux dilatés saisissaient au passage,
Au-dessus de la bouche, en un léger duvet,
Ce brouillard lumineux où le mot se dégage.

Elle embrassa l’esclave. Imprudente faveur !
— Ah ! parle encore, un baume a coulé sur tes lèvres.
(L’esclave, du baiser recueillait la saveur.)

— Parle, ma sœur, j’ai soif du lait dont tu me sèvres ;
Oh ! je brûle. — L’enfant priait avec ferveur ;
Le baiser dans son sang faisait courir des fièvres.

— Qu’est-ce donc que l’amour que ma sœur a vanté ?
— Demande aux cieux, à l’onde, ô maîtresse, à toi-même !
L’amour essor, lien, fusion, volupté,

C’est le réparateur et le charme suprême ;
L’amour est dans la vie, il est dans ta beauté,
Dans mon cœur, dans ma main, dans ma bouche qui t’aime !

 — Quel feu sort de tes yeux ! détourne-les, Ta voix
A-t-elle ému dans l’air les cordes d’une lyre ? —
Aux cheveux de l’esclave elle enroulait ses doigts,

Et luttait faiblement contre un croissant délire.
 — D’où connais-tu l’amour ? — Depuis que je te vois.
 — Que ton souffle est brûlant ! — C’est que je te respire !

Mais la reine soudain de sa couche bondit.
Quelle glace a rompu le charme de l’ivresse ?
C’est qu’elle se souvient de l’oracle maudit.