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joyeux jeune homme, qui prouve sa bravoure en se battant comme on sait, et sa jeunesse en dansant à perdre haleine toutes les fois qu’il en trouve l’occasion. Nous échangeons un bonjour, puis nous arrivons à une belle colline plantée d’oliviers, qui descend en pente douce jusqu’à la rivière d’Angitola, que traverse un pont en très bon état, fait notable dans ce pays d’incurie administrative. Des champs s’allongent où foisonnent les mûriers. La terre est vigoureuse, et porte sans fatigue les moissons et les arbres ; dans ce pays du soleil, il faut jeter de l’ombre au-dessus des céréales pour qu’elles ne soient pas dévorées par les ardeurs du ciel. On plante des arbres dans tous les champs pour abriter et protéger le blé futur. Il en est de même pour la vigne ; réduite aux proportions françaises, c’est-à-dire courte et soutenue par un échalas, elle serait vite desséchée par la double action du soleil et du rayonnement terrestre ; on la pique au pied des arbres, elle y grimpe, saute d’une tige à l’autre, et va chercher loin du sol, sous les feuilles des mûriers ou des trembles, l’air et la fraîcheur dont elle a besoin, car ce n’est pas la chaleur qui lui manque jamais. Loin d’être nus comme les nôtres et secs pour les yeux, les champs italiens, avec leurs plantations enguirlandées de pampres, sont toujours animés de verdure et pour ainsi dire vivans. Ceux que nous traversons frissonnent au souffle de la brise, et laissent tomber sur le chemin une ombre profonde que nos chevaux vont chercher d’eux-mêmes, car la poussière est épaisse et le soleil ardent.

Toujours cheminant, nous atteignons une maison effondrée, noircie, et qui fume. Tout auprès, sur la route, des paysans consternés sont réunis. Une vieille femme s’élance au-devant de nous, elle écarte son corsage, et, mettant à nu sa poitrine ridée, elle la frappe à grands coups en criant des phrases que déchirent ses sanglots, et que nous ne comprenons pas. Nous descendons de cheval, nous calmons la pauvre vieille avec quelques pièces de monnaie, irrésistible consolation que je ne sais plus quel ministre espagnol appelait la parole même de Dieu, et nous finissons par démêler, à travers son récit, que la veille les troupes napolitaines, passant sous les ordres du général Ghio, sont entrées dans sa maison. Les soldats ont demandé à boire et ont bu ; puis ils ont parcouru les chambres, se sont approprié ce qui leur convenait, ont battu à coups de plat de sabre la vieille, qui se lamentait, ont pris des bottes de maïs sec, les ont répandues dans la maison, les ont allumées, et tout s’est mis à flamber. L’incendie a duré le jour et la nuit ; sauf les murailles, il a tout dévoré ; parmi les cendres chaudes, on cherche quelques ferrailles qui pourront servir encore. La vieille femme regarde cette ruine et éclate en larmes nouvelles. Les hommes sont silencieux et