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seul 50,000 exemplaires. La presse hebdomadaire distribue en outre chaque samedi un nombre incalculable de petits cahiers dans les ateliers, les fermes, les plus modestes ménages.

C’est que chacun, sentant instinctivement qu’il a chance de s’affranchir par un meilleur emploi de ses facultés, éprouve le besoin d’acquérir des connaissances, et c’est en lui donnant le nom d’impôt sur les connaissances qu’on a rendu antipathique la taxe sur le papier. Il arrive sans doute que des feuilles obscures servent de porte-voix à des récits malveillans, à des doctrines dont partout ailleurs la diffusion serait réputée dangereuse. On a le bon esprit de ne pas s’en effrayer en Angleterre : cela s’y perd dans le remuement général des idées, comme l’imprécation d’un homme en colère au milieu de la foule. L’opinion publique, jusque dans les hautes classes, ne répugne pas à ce franc parler démocratique. En 1858, le torysme, représenté devant les communes par M. Disraeli, alors ministre, est obligé d’adopter cette motion formulée par M. Milner Gibson : « la chambre est d’avis que le maintien du droit sur le papier, comme source de revenu, serait impolitique. » L’année dernière, M. Gladstone fait entrer dans son grand projet l’abolition du droit sur le papier, et même l’affranchissement de l’obligation de timbrer les journaux[1], afin d’en faciliter encore davantage la diffusion. Pour accomplir en faveur du peuple ce sacrifice de 31 millions, sacrifice qui implique une aggravation de l’income-tax, il ne craint pas de s’adresser aux riches, sur qui l’income-tax pèse particulièrement. Tout le monde n’approuve pas cet excès de générosité. Ceux qui résistent feront-ils ressortir la multiplication anomale des petits journaux, le danger d’une propagande démagogique ? Ils s’en garderont bien : l’opinion publique ne leur ferait pas écho. Ils s’en tiennent à une opposition financière : ils font valoir l’inopportunité d’un dégrèvement considérable quand le trésor est menacé d’un déficit. Les conservateurs de la chambre haute sont ainsi excusés de maintenir l’impôt dont l’abolition a été prononcée par la chambre des communes ; mais le refus des lords n’est pour ainsi dire qu’une affaire de forme. Ce serait manquer aux précédens du torysme que d’adopter une réforme du premier coup. Nous allons voir, à une des sessions prochaines, M, Gladstone revenir à la charge, et il est probable que l’impôt sur les connaissances ne résistera pas au second choc. Quelle conclusion tirer de tout cela, si ce n’est que la réforme

  1. Dans l’état actuel de la législation anglaise, le timbre des journaux sert, comme chez nous, d’affranchissement postal. Pour épargner aux journaux l’ennui de faire apposer le timbre à l’avance sur les feuilles, M. Gladstone proposait d’appliquer aux publications périodiques qui voudraient se servir de la poste un seul droit de transport au poids, comme pour les livres imprimés.