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Comme à l’ordinaire, on la vit hanter le palais de White-Hall, où, elle porta le même air gracieux et les mêmes flatteries que devant. En même temps, il est vrai, cette extraordinaire personne, qui avait en vain, durant le procès de son ami, essayé de fléchir la terrible haine de M. Pym contre le plus redoutable adversaire des communes, continua de voir, et fréquemment, le principal auteur de la ruine de mylord Strafford, si bien que la médisance publique s’empara de leurs rapports, et ce fut une rumeur générale que M. Pym avait succédé au ministre déchu dans les bonnes grâces de la volage comtesse. Tenez pour certain (pour autant que ces sortes de choses admettent de certitude) que ce furent là de vains propos. La comtesse, que ceux qui la connaissent le mieux, dans les portraits qu’ils tracent d’elle, représentent « jouant avec l’amour comme avec un enfant, » n’aurait pas, à l’âge où elle est, après vingt ans de mariage et un veuvage de cinq années, accepté comme soupirant un muguet de l’espèce de M. Pym, gros homme grisonnant, à face pleine et rubiconde, espèce de bœuf parlementaire, embesogné de jurisprudence et de politique. Lui-même, encore que ses ennemis aient quelque droit de lui reprocher sa courtoisie envers les dames et son penchant aux plaisirs qu’elles donnent, ne se fût pas volontiers enchaîné aux pieds de cette Omphale aristocratique, au risque d’y perdre la virile ténacité qu’il porte dans les affaires d’état. Le fait est néanmoins que la comtesse, à partir du jour où elle ne fit plus retentir la ville de ses griefs, changea subitement d’habitudes. Elle fréquenta non plus les assemblées et les bals, mais les chapelles où se réunissent les presbytériens de Londres ; elle y est toujours assidue, et repaît ses oreilles, encore hier caressées par les madrigaux de ses poètes familiers, MM. Davenant, Suckling et leurs pareils, de fastidieux sermons, qu’elle écoute avec la plus religieuse attention, prenant même des notes au crayon sur son livre d’heures afin de mieux retenir les saintes paroles.

Je ne me chargerais pas volontiers, madame, de vous expliquer une si bizarre métamorphose, et n’aurais Là-dessus que de simples conjectures à vous proposer. Votre perspicacité n’a guère besoin qu’on lui vienne en aide, et démêlera sans doute les sentimens qui ont fait agir la belle et remuante Carlisle. Le mot de l’énigme, si je le savais, je me garderais bien de vous le donner d’avance. À plus forte raison, me bornant à croire que je l’ai deviné, vous laisserai-je le plaisir de le chercher à votre tour.

Quel qu’il puisse être, vous avez assez connu, — ne fût-ce qu’en lisant notre Mercure français, où un illustre personnage[1] a fort

  1. On a récemment acquis la preuve que le cardinal de Richelieu ne dédaignait pas les services de cette feuille politique. On dit même que certains articles de fond, comme on dirait aujourd’hui, furent rédigés ou dictés par lui.