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jarrets pareils, de les aller arracher à l’asile où ils se dérobaient, en attendant un moment plus favorable, aux premières atteintes de la colère royale. On va jusqu’à prétendre, — la chose n’est pas absolument impossible, — que, dans l’écrit par lequel il proposait cette mesure désespérée, il s’engageait à les amener vivans aux pieds de sa majesté, ou à les laisser morts sur la place, s’il ne pouvait les tirer de leur refuge.

Toutefois l’heure des grandes audaces était passée. Le roi d’Angleterre d’ailleurs, il faut lui rendre cette justice, ne pouvait envisager qu’avec effroi une mission pareille, confiée à un homme si résolu, et qu’arrêtent si peu les scrupules ordinaires. Enfin les honnêtes gens de la cour, s’il en consulta quelques-uns, durent le prémunir contre des résolutions qui pouvaient amener immédiatement les plus hasardeux conflits. M. Hyde par exemple, qui est l’écrivain juré du monarque, et le fournit privément de tous les renseignemens et avis propres à le guider dans le labyrinthe politique, aura certainement plaidé, en cette occasion, la cause de la prudence. Bref, de manière ou d’autre, l’audacieuse proposition de lord Digby demeura non avenue, et il n’y fut donné aucune suite. Maintenant que certaines indiscrétions l’ont à peu près rendue publique, je ne doute pas qu’elle ne vaille à l’auteur, si le parlement triomphe, un prompt exil, et dans ce cas je pense qu’en Espagne ou en France mylord Digby se fera remarquer. Les gens de ce caractère ne sont jamais longtemps sub rosâ[1].

  1. Ici la sagacité du capitaine Langres lui fait honneur. Poursuivi, comme Strafford l’avait été, par la rancune parlementaire, Digby s’enfuit en Hollande et tenta d’en ramener un convoi d’armes pour les troupes de Charles Ier. Il fut fait prisonnier, et grâce à la générosité du gouverneur de Hull, auquel il se fit connaître, parvint à regagner les côtes de France. Après Edge-Hill, où il combattit vaillamment, son maître l’expédia en Irlande, d’où il partit pour accompagner à Saint-Germain le prince royal, qu’il salua le premier roi d’Angleterre après la catastrophe du 30 janvier 1649. Toutefois le rôle de courtisan du malheur n’allait pas à une nature aussi remuante, et le budget d’un roi exilé ne pouvait suffire aux besoins d’une prodigalité fabuleuse. Lord Digby chercha son rôle dans nos guerres civiles, et l’y eut bientôt trouvé. Une action d’éclat, une bravade exécutée en face de deux armées, le mit en relief. On lui fournit les fonds nécessaires pour lever, au nom du roi de France, un corps d’auxiliaires irlandais. Il parvint rapidement à des grades élevés. Mazarin fugitif le recommandait à la reine comme le plus subtil et le plus expert conseiller qu’elle pût choisir. Il partit de là pour vouloir supplanter le cardinal auprès d’Anne d’Autriche. Informé par elle de cette ingratitude signalée, le subtil Italien ne se plaignit pas ; mais, une fois de retour aux affaires, il embarqua son féal protégé dans une expédition où il espérait bien le voir périr. Digby revint sain et sauf d’Italie, où il avait traversé des périls inouïs avec son bonheur accoutumé. Mazarin le complimenta, le remercia,… et le fit rayer des cadres de l’armée, avec ordre de quitter la France dans le plus bref délai. En Espagne, où notre aventurier se rendit aussitôt, mêmes hasards, même fortune. Don Juan, le gouverneur des Pays-Bas, s’éprend de Digby, remmène en Flandre, et lui doit la prise d’une forteresse dont la garnison irlandaise ne sut pas résister aux séductions de l’irrésistible condottiere. Bien vu à la cour de Madrid, Digby croit utile à son ambition de se faire catholique. Les jésuites recueillent ce brillant catéchumène, qui, peu de mois avant, faisait, avec don Juan, de l’astrologie judiciaire ; mais ce changement de croyances ne rapporta au nouvel adepte aucune des grandes faveurs sur lesquelles il avait compté, et la jalousie de don Luis de Haro le tint à l’écart jusqu’au moment de la restauration des Stuarts. Il rentre alors en Angleterre sous son titre héréditaire de comte de Bristol, et nous l’y laisserons, investi de la faveur royale, nouer encore de nouvelles intrigues, qui devaient aboutir plus tard à une disgrâce éclatante.