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supplément de 2 francs pour la différence de qualité entre les blés russes et les nôtres. On trouvera alors que, dans les années de cherté, comme 1856 et 1857, les prix des blés d’Odessa, rendus à Marseille, s’équilibrent à peu près avec les prix français, et que, dans les années de bon marché, comme 1858 et 1859, ils s’élèvent plus haut. La conséquence est facile à tirer, c’est qu’il faut que les prix français dépassent 25 francs pour qu’il y ait profit à nous apporter avec quelque abondance des blés d’Odessa, même en supposant l’entrée de ces grains franche de droits, et dans ce cas nous en avons besoin pour atténuer le déficit de notre production.

L’expérience a mis en lumière un autre fait qui n’a pas moins d’importance, c’est que, même quand le blé dépasse en France 30 francs l’hectolitre, comme en 1856, il ne peut nous en arriver d’Odessa ou d’ailleurs qu’une quantité limitée. En 1856, l’importation des blés était complètement libre et franche de droits depuis trois ans, le commerce était garanti contre la possibilité d’un retour subit des anciens droits par la suppression de la loi sur l’échelle mobile, et malgré nos efforts pour chercher du blé de tous côtés, malgré le prix excessif que nous en donnions, il n’est entré en tout que 9 millions d’hectolitres de tous grains et de toutes provenances. Quand les prix ont redescendu, l’importation s’est limitée d’elle-même, quoique l’échelle mobile fût toujours suspendue. En 1858 et 1859, elle n’a plus été que de 2 millions de quintaux métriques de tous grains. L’introduction de ces 2 millions de quintaux aurait été elle-même impossible, si les blés étrangers avaient dû entrer en concurrence avec nos blés du centre et de l’est ; mais ils arrivent à Marseille, c’est-à-dire sur le point où le prix des grains excède habituellement de beaucoup la moyenne des prix à l’intérieur, la production du blé dans la vallée du Rhône ne suffisant pas à nourrir ses habitans.

Ainsi un minimum de 2 millions d’hectolitres en temps de bas prix, c’est-à-dire l’approvisionnement de la ville de Marseille et de ses environs, et un maximum de 9 millions d’hectolitres en temps d’extrême cherté, voilà les limites de l’importation possible, telles que les ont révélées six années d’une complète liberté d’introduction. Le froment proprement dit y entre environ pour les deux tiers ; les autres grains, comme le seigle, l’orge, le maïs, l’avoine, le sarrasin, font le reste. Il y a loin de là à ces avalanches qu’on disait prêtes à fondre sur nous. Qu’est-ce qu’un pareil appoint pour un pays qui produit 200 millions d’hectolitres de tous grains par an ? Les alarmistes, forcés de se rendre quant au présent, se réfugient dans les éventualités de l’avenir, à quoi il est facile de répondre que, si l’avenir amenait un danger sérieux, on aurait toujours les