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en le voyant, de cette nuit du 25 mars 1833, où, lui jouant Iago et Edmund Kean remplissant le rôle d’Othello, il reçut pour ainsi dire sur la scène le dernier soupir de ce grand tragédien, usé par les dissipations et les luttes d’une vie orageuse. La comparaison avec Edmund Kean est écrasante pour tout acteur vivant ; aussi nous faut-il écarter à toute force un parallèle qui semble s’attacher de préférence à celui qui porte son nom. Charles Kean n’était point né acteur ; il l’est devenu par le fiât lux de la persévérance. Pour bien apprécier sa valeur, c’est de 1850 à 1859 qu’il faut l’observer dans sa direction du Princess’s Théatre.

Cette direction (management) a fait époque dans l’histoire du drame anglais. Ressusciter sur la scène les pièces de Shakspeare en les illustrant par toutes les splendeurs de la mise en scène, l’exactitude du costume et la puissance merveilleuse des décors, tel était le but que se proposait Charles Kean dans ses shakspearian revivals. Il avait été précédé dans cette voie par Macready, le meilleur tragédien anglais depuis John Kemble et Edmund Kean. On peut même dire que la réforme théâtrale avait commencé dès le temps de Garrick, mais non par les soins de ce grand acteur, qui jouait Hamlet avec une perruque et un habit de cour à la mode de son temps. Macklin essaya, sous les yeux mêmes de Garrick, de se rapprocher de la vérité historique. Cette réforme marcha néanmoins très lentement, et ce n’est que du temps de Macready, c’est-à-dire dans ces trente dernières années, qu’elle prit une sérieuse importance. Macready n’était point, comme Garrick et comme Edmund Kean, un acteur de race ; il manquait de cette simple grandeur et de cette majesté naturelle qui s’approprient tout d’abord le domaine de la tragédie ; mais il avait du tact, une merveilleuse habileté et une grande intelligence[1]. Étant directeur de Drury-Lane, qu’il quitta en 1840, il essaya, et même sur une plus grande échelle que Charles Kean (la scène de Drury-Lane étant une ou deux fois plus vaste que celle de Princess’s Théatre), d’élever l’éclat de la représentation à la hauteur des drames de Shakspeare. Si la tentative n’était point nouvelle, Charles Kean eut du moins le courage de la pousser plus loin qu’aucun de ses prédécesseurs par de savantes recherches archéologiques, une érudition profonde, et une foi peut-être exagérée dans la valeur de l’effet pittoresque.

Il fut aidé dans son œuvre de restauration par deux artistes qui

  1. Edmund Kean et Macready parurent ensemble à Drury-Lane dans le drame d’Othello. Kean professait un souverain mépris pour le talent de son confrère. Ce mépris se conçoit aisément : l’un était le fils de la nature, l’autre s’était formé par l’étude. Le bruit court de temps en temps que M. Macready va reparaître sur la scène ; mais il a aujourd’hui soixante-neuf ans.