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ici avec une grâce et une légèreté relatives sur les robustes colonnes latérales, les décorations, les figures et les supports des loges, tout cela n’est-il pas fait pour motiver les malédictions du vieux drame légitime, qui, depuis la reconstruction de la salle, n’a point été convié à toutes ces splendeurs[1] ? Covent-Garden theatre a entièrement passé à l’ennemi : je désignerai ainsi la musique, qu’on regarde en Angleterre, et avec raison, comme la rivale qui a supplanté la tragédie dans les bonnes grâces du public. Quelques mots suffiront à expliquer ce changement dans les goûts et les mœurs des Anglais. Jusqu’en 1815, l’opéra tenait peu de place à Londres ; mais à la suite des événemens qui amenèrent la chute de l’empire, la Grande-Bretagne subit dans les arts le contre-coup de notre invasion étrangère. Des chanteurs français, italiens, allemands, vinrent s’établir à Londres, au moins durant une partie de l’année, et répandirent dans la société anglaise un amour de la musique qui, comme tous les nouveaux amours, devint bientôt exclusif. L’aristocratie d’outre-mer, qui, plus encore que toutes les autres-aristocraties du monde, impose aux divertissemens publics l’empire de la mode, témoigna surtout pour le chant une préférence qui fut bientôt partagée par les autres classes. Je n’ai, bien entendu, rien à dire. contre les progrès du goût musical ; seulement je regrette de lui voir sacrifier une des gloires du théâtre anglais. Covent-Garden est aujourd’hui le Royal-English Opera.

Le troisième théâtre privilégié était avant 1832 celui de Haymarket : il commença vers 1720. En 1735, Henri Fielding y ouvrit la saison théâtrale par la Compagnie du Grand-Mogol, pièce burlesque dans laquelle il joua quarante nuits de suite son fameux rôle de Pasquin ; mais le théâtre fut obligé de fermer en plein succès, par suite d’un acte de 1736, qui soumettait les salles de concerts et de divertissemens à certaines restrictions légales. En 1744, Haymarket rouvrit sous la direction de Macklin, d’où il passa en 1747 dans les mains de Foote, qui imagina d’y servir du thé, et en fit un des endroits de Londres les plus amusans. C’est à Foote que le théâtre dut ses privilèges. Ce comédien, étant à une partie de chasse à laquelle assistait le duc d’York, eut le malheur (le bonheur si l’on veut) de se casser la jambe. Par l’entremise du duc, il obtint, comme une sorte de compensation pour cet accident, une patente à vie (licence for life) qui l’autorisait à faire de Haymarket, lequel n’avait guère été jusque-là qu’une salled4e divertisemens, un véritable théâtre pour la saison d’été. Plus tard, ce même théâtre devint permanent. La salle actuelle, bâtie en 1821, s’élève presque vis-à-

  1. L’abandon du drame avait d’ailleurs commencé avant l’incendie de 1856.