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contre la force par la force, mais par une puissance supérieure de l’âme ; que, pour vaincre son ennemi, le bon droit lui-même ne suffit pas, s’il ne s’appuie sur un énergique et pur sentiment moral ; que le levier souverain est dans l’amour, dans la vertu du sacrifice, dans la patience héroïque. Un des héros de la Comédie infernale, Pancrace, est un type de la force brutale qui chancelle et s’affaisse dans son impuissance devant un pouvoir supérieur. Cette inspiration règne dans le poème grec de l’Iridion, où le martyre chrétien, le martyre passif et ayant horreur de la vengeance, triomphe de Rome, confondant le patriotisme hellénique d’Iridion, qui ne songe qu’à se venger, et échoue malgré la justice de ses griefs et de sa cause. C’est aussi la pensée de l’Aurore, des Psaumes de l’Avenir, de tous ces chants où l’âme polonaise vibre avec ses ardeurs mystiques, ses exaltations et son inépuisable jeunesse. « Seigneur, dit Krasinski dans un psaume, ce que nous te demandons, ce n’est pas l’espérance, parce qu’elle tombe sur nous comme une pluie de fleurs ; ce n’est pas la mort de nos ennemis, cette mort est écrite sur le nuage de demain ; ce n’est pas de franchir le seuil de la mort, il est déjà franchi ; ce ne sont pas des armes, car tu en as mis dans nos âmes, ni des secours, tu as ouvert une carrière libre ; mais nous te demandons de nous donner l’intention pure au fond de nos cœurs. Oui, Saint-Esprit, toi qui nous enseignes que la plus grande puissance, c’est la force du sacrifice, que la plus grande raison c’est la vertu, fais que nous puissions par l’amour entraîner les peuples vers le but que nous poursuivons ! » Ce rôle de l’héroïsme expiatoire, Krasinski l’a décrit bien mieux encore dans un fragment de l’Aurore.


« Faut-il donc être meurtrier avec les meurtriers, criminel avec les criminels ? faut-il mentir, haïr, tuer et blasphémer ? Le monde nous crie : À ce prix, à vous la puissance et la liberté, sinon rien ! Non, mon âme, non ; pas avec ces armes ! le poids du sacrifice peut seul écraser à son tour le sort qui nous écrase. Dans l’histoire du monde, le sacrifice est un lion invincible ; mais le crime, c’est la balayure que le vent emporte en passant.

« Oh ! non, ma patrie, sois plutôt la patience qui enseigne comment on élève l’édifice pierre à pierre ; sois l’inflexible volonté et l’humble recueillement qui prépare la victoire future ; sois le calme dans la tempête ; sois l’harmonie au milieu des cris de discorde ; sois l’éternelle beauté au milieu des laideurs ; sois pour les lâches et les pharisiens le silence méprisant qui accable ; sois pour les faibles la force qui relève les courages ; sois l’espérance de ceux qui perdent l’espérance. Dans ton combat contre l’enfer de ce monde qui se dresse contre toi, sois cette force tranquille et aimante contre laquelle l’enfer ne prévaudra jamais…

«… Les nations sont voulues de Dieu et sont conçues dans votre grâce, ô Jésus-Christ ! A chacune d’elles vous avez d’en haut donné une vocation.