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Mollah-Mohammed annonça la nouvelle doctrine avec un enthousiasme et un zèle entraînans. Il prêcha la réforme des mœurs, l’oubli des dissensions et des rancunes particulières, l’union de tous, l’observation rigoureuse des préceptes de Dieu et du prophète, l’affranchissement obligatoire pour le musulman du joug honteux et impur des chrétiens, et, comme conséquence, le gazavat ou la guerre sainte, la guerre à outrance. Les murides de l’aoûl de Yarakh prirent pour signe de ralliement des sckaschkas (sabres) de bois, et, se répandant dans les rues et sur les places publiques, firent retentir ces cris à chaque instant du jour : « Musulmans, guerre aux infidèles ! mort aux giaours ! » Cette ardente provocation se répandit, un peu avant 1828, comme une traînée de poudre enflammée, d’aoûl en aoûl, et bientôt tout le district de Kurin fut en feu. Cet appel des murides pénétra jusque dans le nord du Daghestan, où se trouvait alors le général Yermolof, gouverneur du Caucase, avec un corps de troupes. Aussi fin politique qu’habile capitaine, il avait profité des anciennes dissensions des montagnards pour soumettre une grande partie du Daghestan et la Tchetchenia. À la nouvelle inattendue de cette insurrection, il manda auprès de lui à Kouba, sa résidence momentanée, Arslan, khan du Khazi-Koumoukh, province où la première explosion avait éclaté. Chargé de s’enquérir des causes qui l’avaient produite, Arslan-Khan, allié des Russes, avec le grade de colonel et plus tard de général-major, se rendit par ordre d’Yermolof à l’aoûl de Tchacin-Kent, dans le district de Kurin. Il convoqua le kadhi Mollah-Mohammed et les principaux murides. Dans cette conférence, le kadhi ayant reproché en termes assez vifs à Arslan-Khan de s’être fait l’esclave des Russes, celui-ci s’emporta si violemment qu’il le frappa à la figure. Mollah-Mohammed resta impassible à cet outrage et pardonna. C’était en effet un saint homme ; son aspect imposant, sa parole vive et éloquente, sa science profonde, sa vie austère, son habitude de dormir sur un cercueil en guise de couche, lui avaient attiré la vénération de tous. Arslan-Khan lui-même ne put résister à son ascendant, le repentir toucha son âme et lui fit trahir les devoirs de sa mission. Il revint auprès du général russe et l’endormit dans une fausse sécurité en lui donnant l’assurance que les désordres du Khazi-Koumoukh étaient apaisés, tandis que lui-même entretenait de secrètes connivences avec les chefs de la secte.

Sur ces entrefaites, Yermolof, rappelé à Saint-Pétersbourg, eut pour successeur Paskievitch, et l’attention du gouvernement russe fut détournée du Caucase par la guerre qu’il eut à soutenir contre la Perse en 1828 et l’année suivante contre la Turquie. Cette circonstance fut favorable au développement du muridisme. Dès 1829,