Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cipes trop méconnus. Ils espéraient qu’à la longue et à la lumière des faits, des notions plus saines se répandraient dans les esprits, et qu’arrivées à leur pleine maturité, les réformes trouveraient dans l’acquiescement général la sanction qui les justifie et les consacre.

Ce sentiment, personne ne l’a eu avec plus d’évidence que l’économiste dont je m’occupe. Léon Faucher était un de ces esprits droits, résolus, tout d’une pièce, pour employer une expression familière, qui placent au-dessus des chances heureuses ou malheureuses qu’elles peuvent courir leurs convictions laborieusement formées ; il vérifiait les siennes par une étude constante et y tenait en raison de ce qu’elles lui avaient coûté. Par l’ardeur qu’il mettait à les défendre, on peut juger de quel prix le triomphe eût été pour lui : ce triomphe, il ne l’attendait que de la discussion et ne s’y épargnait pas. Quelque part que l’on rompît une lance en faveur de ses doctrines, dans la presse, dans les réunions spéciales, dans les chambres, on était sûr de le voir accourir. Il appartenait à cette phalange d’hommes éprouvés qu’avaient formée vingt-cinq années de libre débat, et dont il est plus aisé de médire que d’effacer le souvenir. Son goût était vif pour ces joutes publiques où les grandes questions de l’état passaient comme dans un creuset, et qui, empruntant leur autorité aux institutions, élevaient à la fois les talens et les caractères. On pourra voir, dans le cours de cette étude, en combien d’occasions et avec quel esprit de suite il se mêla aux affaires et à la politique du temps, choisissant de préférence les sujets qui lui étaient familiers, les finances, l’administration, les problèmes du travail manuel, et y apportant une fermeté de vues et une variété de connaissances auxquelles ses adversaires les plus décidés étaient obligés de rendre justice. Peut-être lui manquait-il un peu de défiance de lui-même et l’habitude de ces formes conciliantes qui, sans faire déroger la vérité, en assurent mieux l’empire ; mais il avait en revanche et à un haut degré deux qualités rares en tout temps et qui s’effacent de plus en plus de la vie publique, le courage et la sincérité.


I

C’est à Limoges, le 8 septembre 1803, que naquit Léon Faucher, et sa triste et laborieuse enfance commença par le spectacle d’un ménage désuni. Son père, qui était dans le commerce, changea plus d’une fois de résidence, et au milieu de chances diverses passa de Limoges à Toulouse et à Bordeaux, pour revenir à Toulouse vers le milieu de 1815. Là, des scènes pénibles, sur lesquelles il convient de jeter l’oubli, ne tardèrent pas à rendre la vie commune intolérable,