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jetait ; il n’en laissa tomber aucun, et fit face à tout à force de courage.

La province avait jusque-là suffi à son ambition ; il s’y était fait un nom par ses succès de collège, et ses professeurs s’accordaient à dire qu’un talent comme le sien serait mieux à sa place sur un théâtre plus élevé. On lui désignait Paris comme point de perspective. Il céda bientôt à ces conseils, peut-être aussi au sentiment de sa force ; cette foi qu’on avait en lui, il la partageait. En 1824, il quitta Toulouse ; il avait alors vingt et un ans. C’était beaucoup oser que de se jeter dans le tourbillon parisien sans appui, sans protecteur, et avec une très petite épargne. Il donna d’abord quelques leçons, s’instruisit en instruisant les autres, se mit en rapport avec les hommes distingués du temps. Des éducations particulières lui ouvrirent des maisons où il put se faire connaître et où on sut l’apprécier. Il ne parlait jamais sans émotion de cette période de sa vie où, au prix d’un travail sans trêve, il assurait le pain de sa mère en se trouvant lui-même transporté au sein d’une aisance à laquelle il n’était point accoutumé. Ce qu’il y avait d’assujettissant dans ses fonctions était tempéré par la dignité et la bonne grâce des procédés. En même temps il se recueillait et cherchait sa voie. Il y avait alors dans l’opinion quelque chose de sain et de vigoureux dont la génération nouvelle pouvait utilement s’inspirer. La France, volontiers changeante, était emportée du côté des idées libérales, et ne craignait pas de les défendre au prix de son repos. Derrière quelques noms illustres ou célèbres se rangeait le gros de la nation avec un sentiment de déférence et un esprit de discipline dont la tradition est désormais perdue. On avait un drapeau et des chefs ; les rôles se distribuaient selon les aptitudes : aux uns l’action, aux autres la parole et la plume. Faucher se rangea parmi ces derniers ; ses relations, ses études prirent cette direction, et comme il n’était pas de ceux qui s’engagent à demi, jusqu’à son dernier jour il y resta fidèle. Il n’ignorait pas que l’exercice de la liberté a ses périls, mais il savait aussi que sans elle il n’y a pour un peuple ni grandeur ni sécurité durables, que l’ordre où elle fait défaut est le pire des désordres, et qu’une décomposition lente atteint tôt ou tard les communautés qu’elle n’anime pas.

Dès qu’une occasion se présenta de faire publiquement ses preuves, Léon Faucher la saisit. L’académie de Lyon avait en 1827 mis au concours la cause des Grecs, qui luttaient héroïquement pour leur indépendance. Il envoya un mémoire et remporta le prix. D’autres travaux classiques suivirent cet heureux début. Quoique enchaîné par des éducations privées, il trouva le temps de traduire en grec une partie du Télémaque et de commencer une traduction d’Aristote. L’œuvre était avancée quand la révolution de 1830 condamna ces