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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/382

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voyageurs qui l’ont contemplé, un spectacle d’une étonnante magnificence. Il est entouré de pics moins élevés, dont plusieurs sont en ébullition. L’archipel japonais est, comme les groupes d’îles des mers de la Sonde, couvert de volcans. Kiou-siou seule en compte cinq en état de permanente éruption. L’un d’eux, le Wunsen-take, grande montagne connue par ses sources chaudes, causa en 1793 une catastrophe dont le souvenir est demeuré profondément gravé dans l’esprit des insulaires : le sommet de la montagne s’éboula, des torrens de lave et d’eau bouillante jaillirent de sa large crevasse, surmontée des flots d’une immense vapeur ; la ville de Simabarra fut engloutie, et l’on dit que trente-cinq mille personnes périrent. Des sources d’eau chaude et sulfureuse bouillonnent dans presque toutes les provinces, et le Japon peut fournir une production de soufre inépuisable. Des terreurs superstitieuses s’attachent naturellement dans l’esprit des indigènes à ces terribles manifestations d’un sol en travail. Le Fusi-yama surtout leur inspire une crainte pieuse. Les pentes du volcan sont habitées par une secte de prêtres mendians, et de tous les points de l’archipel on y vient en pèlerinage.

Le ministre plénipotentiaire anglais au Japon, M. Rutherford Alcock, a fait l’ascension de cette haute montagne au mois de septembre 1860, en compagnie du vice-consul, M. Eusden, de quelques officiers et d’un botaniste, en tout huit Anglais. Ils avaient avec eux un des vice-gouverneurs de la capitale, l’interprète de la légation et quelques employés japonais. La petite expédition se dirigea, en quittant Yédo, le long de la mer, sur une route large et magnifique, bordée de cèdres dont plusieurs étaient hauts de cent cinquante à cent quatre-vingts pieds, et de ceps de vigne gigantesques. Après avoir suivi pendant une cinquantaine de milles cette voie qui mène à Nagasaki, elle fit un détour, s’enfonça dans l’intérieur et parvint après huit heures d’ascension au sommet du Nahoni, chaîne de montagnes qui se dresse comme une avant-garde entre la mer et le Fusi-yama. Là, à une hauteur de 2,000 mètres, s’étend un lac hanté, dit-on, par de mauvais esprits, et dont jamais on n’a pu mesurer la profondeur. On redescend le Nahoni, et l’on parvient au village de Muri-yama, situé à cent milles de Yédo. À partir de ce point, l’autorité séculière fait place à celle des prêtres, qui ont la montagne sainte sous leur juridiction ; deux de ces sortes de moines se détachèrent pour guider l’expédition. On gravit les pentes à pied, armé d’un bâton. Le sentier est rapide et rocailleux ; de demi-mille en demi-mille se dressent des huttes où les pèlerins peuvent se reposer et boire du thé servi dans des tasses lilliputiennes. à la neuvième de ces stations, les difficultés de l’ascension redoublent, tant les pentes, de plus en plus escarpées, sont jonchées de débris de lave, de scories et de cendres. En même temps la raréfaction de l’air commence