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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/425

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et beaucoup de mal au catholicisme : elle l’a servi en le contraignant de corriger des abus contre lesquels les plus fidèles de ses enfans protestaient depuis deux siècles ; elle lui a nui, moins encore en détachant de sa communion la moitié de l’Europe qu’en le contraignant de se prononcer sur une multitude de questions restées ouvertes jusque-là, et en le forçant ainsi à devenir plus exclusif. Beaucoup de gens ne sont plus catholiques aujourd’hui qui auraient pu l’être avant le concile de Trente. L’autorité de l’église, entendue dans le sens un peu flottant où on la prenait avant Luther, laissait aux manifestations de la vie religieuse une liberté dont on ne saurait assez déplorer la perte. L’église catholique d’autrefois avait un esprit plus libéral et, si j’ose me servir de cette expression, une plus grande force plastique que les sociétés religieuses issues de la réformation. Il y a quelque chose de plus humain et de plus divin tout à la fois, quelque chose de plus grand et de plus vivant, quelque chose de plus acceptable pour la pensée et de plus séduisant pour l’imagination, dans l’idée d’une vaste institution animée de l’esprit d’en haut, et, sous l’action de cet esprit, se développant selon les circonstances, se prêtant aux mouvemens et aux besoins de l’humanité, — il y a là, dis-je, quelque chose de plus grand et de plus vrai qu’une doctrine d’après laquelle l’esprit de Dieu est comme relégué et captif dans une lettre morte.

D’un autre côté, et précisément parce qu’elle a l’inflexibilité de la lettre, l’Écriture provoque plus vivement la révolte de l’individu, et par là réveille davantage le besoin de l’affranchissement. Tandis que le catholique n’entre guère en contact personnel avec les croyances et les lois de son église, le protestant, dont le devoir religieux est de lire et relire sans cesse la Bible, ne peut s’empêcher, pour peu qu’il ait quelque instruction et quelque intelligence, d’y trouver des choses qui l’étonnent, l’embarrassent, quelquefois même le scandalisent. Il relit, il compare, il s’enquiert, et s’il ne parvient pas à imposer silence aux réclamations de son esprit et de son cœur, il éprouve ce trouble dont j’ai signalé les symptômes, et qui, comme un frisson mortel, parcourt aujourd’hui tout le corps du protestantisme.

Le protestantisme est-il condamné à périr dans la crise où il se débat ? Cette question revient à une autre : le protestantisme a-t-il la faculté de se modifier ? Le catholicisme ne peut changer beaucoup : nous l’avons vu, de nos jours même, ajouter un dogme à son credo ; mais il ne saurait toucher à son principe sans périr. Le catholicisme sans l’infaillibilité ne serait plus le catholicisme. Il n’en est pas tout à fait ainsi du protestantisme. À proprement parler, le protestantisme est une abstraction. Ce n’est pas une église en effet,