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changé le ministre de l’intérieur, le directeur de la police, le prodictateur même ; nous n’y faisions guère attention, et le soir nous avions oublié les noms qu’on nous avait dits le matin. Il devait en être ainsi, car nous n’étions pas venus à Naples pour inaugurer une nouvelle politique, nous étions venus changer un état de choses : nous ne voulons ni la république, ni la monarchie, ni telle nuance, ni telle autre ? nous agissions en vertu d’une idée morale, nous voulions l’indépendance de l’Italie et le droit pour elle de choisir librement ses destinées, Être indépendant est un droit, c’est pour ce droit seul qu’on s’était mis en-armes ; tous ceux qui, désirant juger la campagne des Deux-Siciles, se placeront à un autre point de vue tomberont forcément dans le faux.

Rien n’était plus étrange que Naples pendant les premiers jours qui suivirent notre arrivée. Les promenades enthousiastes de la journée recommençaient le soir avec accompagnement de torches, de lampions et de boites qu’on tirait à tous les coins de rues. C’était odieux de rumeur et de fracas. On ne savait où se réfugier pour fuir ces tumultueuses mascarades qui ressemblaient à une descente de la Courtille politique. Les Calabrais en chapeaux pointus, nos soldats déguenillés se mêlaient à la population endimanchée ; de tous Les trous il sortait des patriotes qui criaient d’autant plus haut qu’ils avaient fait moindre besogne ; le peuple et la bourgeoisie fraternisaient dans une joie sans bornes. Quant à la noblesse, aux gens du monde, comme on dirait à Paris, elle était absente ; où était-elle ? Auprès de son roi sans doute, à côté de celui dont elle avait mangé le pain et sollicité les grâces, prête à se faire tuer pour sa défense ? Point. Elle était en Allemagne, en France, en Angleterre, aux eaux, aux bains de mer, partout enfin où l’on se divertit, mais loin du danger. La bourgeoisie payait de sa personne avec une rare abnégation, car le service de garde nationale auquel elle était condamnée est un des plus durs que jamais troupe régulière ait subis. Grâce à elle, l’ordre n’a jamais été troublé, et les approvisionnemens de la ville n’ont pas souffert un instant. Des chercheurs de fortune étaient accourus à Naples, croyant l’occasion bonne et le moment propice. Les uns, officiers en demi-solde, sortis, des armées européennes, venaient proposer sérieusement à Garibaldi d’organiser ses soldats en quinze jours sur un nouveau mode ; le dictateur les écoutait avec la patience d’un martyr et leur répondait invariablement : « Si vous nous organisez, nous serons battus ! » les autres, fournisseurs en déroute, quêtant une bonne affaire, cherchaient à se débarrasser de leurs vieux fonds de magasins ; ils offraient à notre armée, et pour le plus juste prix, des souliers, des armes, des uniformes. L’un d’eux, que je vois encore, avec sa mine de chafouin criblée par